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Black Bazar

Un style vivant très proche de l’oral, un savoureux langage imagé et des phrases rythmées, pas de doute, Black Bazar est bien le dernier livre d’Alain Mabanckou. Cette fois-ci, l’auteur situe l’action à Paris et dans plusieurs lieux africains de la capitale. Le héros, en France depuis quinze ans mais originaire de Brazzaville, est un roi de la SAPE, la Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes…

Un style vivant très proche de l’oral, un savoureux langage imagé et des phrases rythmées, pas de doute, Black Bazar est bien le dernier livre d’Alain Mabanckou. Cette fois-ci, l’auteur situe l’action à Paris et dans plusieurs lieux africains de la capitale. Le héros, en France depuis quinze ans mais originaire de Brazzaville, est un roi de la SAPE, la Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes. Macho, dragueur, baratineur, et pourtant attachant !, il s’habille en costard pour « maintenir la pression ». Ses amis le surnomment le « Fessologue » à cause de son obsession des femmes et de leur « face B ». « Couleur d’origine », sa compagne, a fini par le quitter pour « l’Hybride », un cousin, et a emmené sa fille avec eux. En guise de thérapie, notre héros consigne son quotidien : « j’écris comme je vis, je passe du coq à l’âne et de l’âne au coq ». Il relate les discussions avec ses amis du Jip’s dont certains pensent que les immigrés devraient épouser des Blanches, « une manière d’arracher (…) l’indemnisation pour ce qu’on nous a fait subir pendant la colonisation », fait part des remarques de son épicier arabe qui accuse Chinois et Pakistanais d’être « les nouveaux colons » : « Est-ce qu’ils ont aidé la France ? Est-ce qu’ils ont versé leur sang pour ce pays ? » ou encore, rapporte les échanges avec un voisin raciste et hypocondriaque qui lui « gueule sa fierté d’être Français de souche ». Sur un ton léger et badin, Mabanckou, aborde avec drôlerie des questions sérieuses : l’exil et ce qu’il peut provoquer comme réactions, l’intégration, les rancœurs intercommunautaires, les régimes politiques africains corrompus, la Françafrique ou encore le rôle « positif » de la colonisation. Il s’amuse des poncifs « Nous autres, les nègres, c’est pas notre dada, l’écriture. Nous, c’est l’oralité des ancêtres, nous c’est les contes de la brousse et de la forêt (…) » ou encore « Au pays, on croit encore que les nègres qui naissent en France sont en principe moins noirs que nous ». Même s’il cède parfois à la tentation du bon mot, celui qui a reçu, il y a 3 ans, le prix Renaudot pour Mémoires d’un porc-épic, confirme avec Black Bazar son talent de conteur de l’écrit. Et en profite pour livrer, avec humour toujours, quelques réflexions sur le travail d’écrivain « est-ce qu’un écrivain doit toujours vivre dans un autre pays, et de préférence être contraint d’y vivre, pour avoir des choses à écrire et permettre aux autres d’analyser l’influence de l’exil dans son écriture ? » et livrer, peut-être sous la plume du « Fessologue », un de ses secrets « je me suis rendu compte que je ne pouvais écrire que sur ce que je vivais, sur ce qu’il y avait autour de moi, avec le même désordre… ». Maya Larguet
Alain Mabanckou, Black Bazar, Seuil, Janvier 2009