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Championzé

Championzé raconte l’histoire du premier champion de boxe français noir, malheureusement oublié depuis. Le coq gaulois, si prompt à bomber le torse quand ses représentants en culottes courtes font flotter les trois couleurs nationales, est resté coi quand ce sportif décrocha un titre mondial. Nul cocorico pour célébrer la victoire de ce costaud dont le nom et la performance ont été effacés des archives et des mémoires. Il est vrai que cela se passait en 1922 et que depuis, le sport et le racisme ont eu d’autres chats à fouetter…

Voici une belle réussite pour ces deux jeunes auteurs de Bd appelés à renouveler leur fructueuse collaboration. Raconter la vie d’un champion de boxe oublié depuis des lustres. Le coq gaulois, si prompt à bomber le torse quand ses représentants en culottes courtes font flotter les trois couleurs nationales, est resté coi quand ce sportif décrocha un titre mondial. Nul cocorico pour célébrer la victoire de ce costaud dont le nom et la performance ont été effacés des archives et des mémoires. Il est vrai que cela se passait en 1922 et que depuis, le sport et le racisme ont eu d’autres chats à fouetter : Championzé raconte l’histoire du premier champion français noir. Il s’appelait Amadou M’Barick Fall, il venait du Sénégal, sous domination française, de Saint-Louis très exactement où il naquit en 1897. Le gamin, entre deux plongeons pour amuser les touristes blancs, croisa deux belles hollandaises qui l’emportèrent dans leur bagage. Jusqu’à Marseille. Le jeune Amadou va se débrouiller, seul, comme un grand et la boxe lui tendra les bras, comme un grand frère prend la main de la pauvreté. Mais avant de briller sur les rings, l’« indigène » va s’illustrer sur les champs de batailles de la Première Guerre mondiale : Croix de guerre et du mérite. Battling Siki, tel est son surnom, fut donc champion du monde de boxe le 24 septembre 1922. Il remporta ses galons en terrassant l’icône nationale du moment : Georges Carpentier soi-même. Non seulement idole des foules mais aussi, et en l’occurrence cela compte, champion à la peau blanche. A l’heure de la domination coloniale et de la suprématie de la « race » blanche sur la « race » noire, cela fît désordre. D’ailleurs l’arbitre de la rencontre tenta de disqualifier Battling Siki. Mal lui en prit. Les quarante mille spectateurs ne l’entendirent pas de cette oreille. Une bronca porta dame justice sur le ring, et l’arbitre, incarnation de quelques tares de l’époque, du en rabattre. Le député Blaise Diagne, le premier Noir de l’hémicycle, monta lui à la tribune pour défendre la cause du boxeur floué de son titre. Ainsi le racisme ne fut pas d’une pièce, ni le même dans les pays traversés par Battling Siki (France, Pays-Bas, USA…). Et la réaction de cette salle face à l’injustice peut apparaître comme une (heureuse) énigme. Ce n’est pas le moindre des mérites des deux auteurs qui, tout en restituant rigoureusement la vie de ce champion, le contexte historique largement hostile, et le racisme le plus bas ne cèdent jamais à une sorte de manichéisme ou de démonstration militante. Eddy Vaccaro (pour les dessins) et Aurélien Ducoudray (pour le texte) racontent l’histoire d’un homme, fait de grandeurs et de faiblesses, pétris de rêves et d’illusions, un homme amoureux et aimés. Une grande gueule aussi qui refusa de faire profil bas et ne s’en laissa pas compter. Tout cela est raconté sans forcer le trait. De manière fluide, sans pesanteurs idéologiques ni accusations. Le coup de crayon est alerte, les dessins couleur sépia et les planches inventives et originales. Battling Siki fut surnommé Championzé, autrement dit « le champion des chimpanzés ». Tout lui étant irrémédiablement fermé en Europe, il part aux Etats-Unis voir si l’herbe des rings y pousse plus verte. Il espère y affronter Jack Dempsey, le champion du monde des poids lourds. En vain ! «Vous avez une statue de la Liberté ici, mais c'est un mensonge » dira t-il. Un soir de l’année 1925, on retrouva le corps de ce jeune Français des colonies dans une rue sombre de New York. Expédié à la morgue d’Harlem, ce « Français entièrement à part » fut rayé des registres et oublié des hommes. Jusqu’à aujourd’hui. Mustapha Harzoune A voir sur le site de l’éditeur des vidéos, réalisées par Aurélien Ducoudray, qui mettent en scène la création de ce beau livre…

Eddy Vaccaro & Aurélien Ducoudray, Championzé, édition Futuropolis, 2010, 127 pages, 20€