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Il me sera difficile de venir te voir. Correspondances littéraires sur les conséquences de la politique française de l’immigration

Voilà un livre original, utile, agitateur (de neurones !) et qui jamais ne prend les allures d’un bréviaire. Pourtant, le sujet – la politique française de l’immigration – et la forme – une correspondance par mail entre des écrivains, de France et des Sud, qui ne se connaissaient pas – étaient casse-gueule. Cette idée saugrenue a germé dans la tête d’Eric Pessan, vite secondé par Nicole Caligaris.

Voilà un livre original, utile, agitateur (de neurones !) et qui jamais ne prend les allures d’un bréviaire. Pourtant, le sujet – la politique française de l’immigration – et la forme – une correspondance par mail entre des écrivains, de France et des Sud, qui ne se connaissaient pas – étaient casse-gueule. Cette idée saugrenue a germé dans la tête d’Eric Pessan, vite secondé par Nicole Caligaris. Au départ, il y a un sentiment de révolte, la volonté de dire “ non ” à ce qui paraît “ odieux ”, inadmissible. Ils partirent à quarante – les 40 auteurs contactés par nos duettistes – ils n’accostèrent qu’à vingt-quatre sur les berges de cette aventure littéraire. Certains n’osant pas embarquer, d’autres abandonnant clavier et coéquipier au milieu de la nuit. Aussi est-il juste de nommer ces improbables partenaires, binôme d’un livre que le hasard a rassemblé : Eric Pessan-Nimrod ; Arno Bertina-Driss Jaydane ; François Bon-Eugène Ebodé ; Brigitte Giraud-Kangni Alem ; Marie Cosnay-Raharimanana ; Samira Negrouche –Nicole Caligaris ; Mourad Djebel-Nathalie Quintane ; Pierre Le Pillouër-Sayouba Traoré ; Patrick Chatelier-Aristide R-Tarnagda ; Sonia Chiambretto- Gustave Akakpo ; Jean-Baptiste Adjibi-Pierre Ménard ; Christophe Fourvel-Abdelkader Djemaï ; Mohamed Hmoudane-Claude Mouchard. Juste et surtout utile. Car si ces correspondances d’environ trois mois prennent des formes diverses – l’épistolaire, le poétique, le conte, le romanesque se mêlant aux confessions et autres réflexions politiques - chaque auteur se livre et livre de son intimité, ouvre son antre et dit parfois ses affres. Là est aussi l’intérêt de cet ouvrage écrit à plusieurs voix. Ces écrivains, ici, ne badinent pas, n’adoptent aucune posture médiatique. Ils mettent la main à la conscience et dissèquent les enjeux de cette question brûlante. Enjeux qui débordent largement le cadre restreint et convenu de la politique dans lequel, les professionnels du débat public pérorent, glosent et réduisent au silence les empêcheurs de démocratiser en rond. Qu’on en juge par la multiplicité des thèmes abordés : le caractère insidieux des politiques et des pratiques qui gangrènent la société et les hommes ; les limites - mais aussi les vertus - du cercle, de la fermeture ou des frontières ; la fonction de l’étranger ; la montée d’un nationalisme porté par les élites et la diffusion d’un racisme sournois ; la complexité que cache la décision de s’exiler ; le fiasco et les responsabilités des dirigeants véreux du Sud, la capacité à se déprendre de soi ; les images et les représentations du Sud, de l’Afrique notamment : impure et suspecte ; les mensonges électoraux ; les messages de solidarité et d’entraide qui ne font pas le poids face à la simplicité des recettes électorales et aux “ y’a qu’à ” des bateleurs ; l’empathie sapée par les politiques de la peur ; les liens sociaux distendus ; l’argent, peut-être seule et véritable frontière identitaire… Mais ce livre est œuvre d’écrivains. On y parle aussi de création, du statut de la fiction, des différences de lexiques entre le Nord et le Sud, de la fonction du témoignage, de la place de l’individu etc. Ces auteurs doutent. “ Lucides ”, ils s’interrogent sur la puissance des mots, comme Mourad Djebel qui finit par écrire : “ (…) ce “ dire ”, quand bien même il serait noyé dans le flot des “ dires ”, quand bien même il serait inaudible (…), il y a besoin de le dire, sinon ceux-là qui prônent ces politiques vont gagner pas seulement sur le registre des faits réels (là, ils ont déjà gagné) mais aussi en légitimant définitivement et d’une manière irréversible leurs nauséeuses idées sur le rapport à l’Autre, en les martelant encore et toujours d’une manière incantatoire qui transforme les fins en arguments et les moyens en politique. ” Dans son dernier livre, L’Éclat dans l’abîme. Mémoire d’un autodafé (1), Manuel Rivas montre justement comment les mots sont aussi des êtres de mémoires. Des êtres imprévisibles et dangereux. Qui peut dire alors où peuvent mener ces correspondances… ? Mustapha Harzoune 1- Gallimard 2008
Il me sera difficile de venir te voir. Correspondances littéraires sur les conséquences de la politique française de l’immigration, éd. Vents d’ailleurs, 2008, 255 pages, 14€. Les droits d’auteurs sont reversés au Réseau éducation sans frontières (RESF).