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Je suis venu, j'ai vu, je n'y crois plus

M. Ba dénonce ici le mirage de l’Eldorado européen, vante les ressorts de l’Afrique, incite les candidats à l’exil à ne pas partir et ceux qui ont atteint l’enfer européen à rentrer au pays. C’est une tendance nouvelle dans les témoignages ou les romans, que de se demander à propos de l’exil : cela en valait-il la peine ? Mais voilà quelle alternative lui offrir ? De ce point de vue, le lecteur reste sur sa faim et l’auteur est desservi par les exagérations, les erreurs, les jugements de valeur, les distributions de bons et de mauvais points, les affirmations non démontrées…

Le livre d’Omar Ba, après avoir défrayé les pages littéraires de la presse nationale a subi le contrecoup d’un article assassin du Monde (7 juillet), montrant les impostures de son auteur. Le quotidien du soir a descendu en flèche M. Ba. Rien n’a été oublié. Le témoignage et la vie personnelle de l’auteur ont été passés au crible d’une critique assassine. Omar Ba a peut-être joué avec le feu… Et si, comme il le paraît, sa prétendue odyssée migratoire est une pure invention, l’homme a manqué de modestie et de… discrétion. Dans ce second livre (est-il concevable qu’il y en ait un troisième ?), Omar Ba revient sur son périple. Pour ne pas avoir lu le premier ouvrage où tout y serait raconté par le menu, il est difficile de se prononcer sur la crédibilité des faits rapportés. En revanche, le récit est ici désincarné, sans chair, théorique : tout y est moins crédible qu’un article de presse. Des romanciers, le Marocain Mahi Binebine ou la Française Fadéla Hebbadj, ont récemment fait bien mieux pour traduire le sort des harragas que M. Ba. Mais là n’est pas le sujet de ce nouveau livre même si une partie de l’argumentaire de l’auteur consiste à dire : “ moi je suis passé par là, je sais de quoi je parle et cela confère du poids à mes dires ”. M. Ba dénonce le mirage de l’Eldorado européen, vante les ressorts de l’Afrique, incite les candidats à l’exil à ne pas partir et ceux qui ont atteint l’enfer européen à rentrer, fissa, au pays. C’est une tendance nouvelle dans les témoignages ou les romans, que de se demander à propos de l’exil : cela en valait-il la peine ? Risquer la mort, se faire gruger à longueur d’intermédiaires, subir mille et une violences, survivre dans la clandestinité, mourir à petit feu, dépossédé de soi-même et sans espoirs, mentir aux siens restés au pays, devenir leur “ otage ” et se saigner pour leur envoyer quelques subsides. L’Eldorado tourne vite au cauchemar. Malheureusement, il n’y a rien là de nouveau sous le soleil noir de l’immigration (voir les romans de Mouloud Feraoun par exemple sur l’immigration kabyle). On est en droit, comme Omar Ba, de s’insurger et de dire à une jeunesse africaine : “ arrêtez le massacre ”. Mais voilà quelle alternative lui offrir ? De ce point de vue, le lecteur peut rester sur sa faim : quelques exemples individuels de “ réussite ” au pays, quelques propositions pour casser le mythe de l’Eldorado européen, par l’éducation, les médias ou… l’exposition de la misère et de l’individualisme qui sévissent en Europe. Omar Ba vante aussi l’expérience (peu probante) de retours organisés moyennent une aide financière de la société d’accueil. Il invite même à affréter pour les immigrés qui souhaitent rentrer la tête haute… “ des vols spéciaux ” et à durcir (quid des libertés ?) les conditions d’expatriation des médecins africains… Rien qui ne parvienne vraiment à emporter l’adhésion. D’autant plus que mettant l’accent sur l’effet mimétique de l’Europe, Omar Ba aurait tendance à minimiser les raisons locales qui poussent les populations à fuir : misère, droits de l’Homme, absence de perspectives, conflits… Et surtout pas un mot sur les responsabilités des dirigeants en place, ou alors une ou deux phrases bien vagues et perdues dans les 240 pages du livre. Et pourtant, a contrario de toute sa démonstration, Omar Ba écrit : “ on ne frôle pas la mort pour quitter un lieu si on y a le minimum vital ” ou encore : “ c’est le dénuement, le désespoir, les guerres fratricides et les massacres, qui poussent ces jeunes vers le chaos. Et ces maux ne sont pas le simple fruit de la fatalité, une certaine élite africaine est coupable de ce que subissent les populations – et de leur départ ”. Ainsi, au détour de deux phrases, un pan entier de l’argumentaire s’effondre : c’est en Afrique que résideraient les raisons d’émigrer… Mais, ce qui sans doute dessert l’auteur, plus encore que les exagérations, les erreurs, les jugements de valeur, les distributions de bons et de mauvais points, les affirmations non démontrées c’est de l’entendre dispenser un discours, sur un mode souvent péremptoire et parfois prétentieux, alors que lui-même vit, pour l’heure, en France. Autrement dit “ faîtes ce que je dis, pas ce que je fais ”… Difficile de gagner les cœurs et les esprits de celles et ceux, jeunesse d’Afrique ou exilés en Europe, qu’ils éreintent à longueur de pages. Mustapha Harzoune
Omar Ba, Je suis venu, j'ai vu, je n'y crois plus, Ed. Max-Milo, 2009, 240 p., 18€.