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Le retour de L’étranger

A l’occasion de la sortie en copie neuve restaurée de L'étranger, film réalisé en 1967 par Visconti d’après le roman de Camus, retour sur l’histoire de ce film oublié.

Est-ce à la faveur de l’emballement médiatique autour du cinquantenaire de la mort de Camus, avec exaltation tous azimuts de l’homme et de l’œuvre, que l’on doit la reprise de L’étranger, en copie neuve restaurée, de très belle facture ? Le film réalisé en 1967, ne semblait pas né sous une bonne étoile. De son vivant, l’auteur (mort accidentellement en 1960) ne s’était jamais montré favorable à une quelconque adaptation cinématographique. Sa disparition brutale, pas plus que l’accession de l’Algérie à l’Indépendance (juillet 62), n’allaient changer la donne. L’Etranger, restait encore pour quelques années, interdit de séjour à l’écran. Enfin, avec l’aval de Visconti, les producteurs italiens, depuis longtemps demandeurs, obtinrent les droits. Les conditions drastiques avancées pouvaient être préjudiciables à la transposition cinématographique d’une œuvre romanesque, devenue classique et emblématique, et qui jetait les bases de sa pensée sur l’innocence et la culpabilité, l’absurde, le bien, le mal, l’amour , la mort…. Des spécialistes veilleront au grain ( Susso Cecco d’Amico, adaptateur attitré de Visconti, Georges Conchon écrivain de gauche, Emmanuel Roblès, écrivain pied noir, ami de Camus). En freinant l’élan créateur de l’auteur de Rocco et ses frères, tout comme en réduisant le roman à l’anecdote, on évitait le choc des titans. Restaient pour l’accès au grand public d’un film néo-réaliste un peu abrupt et laconique, les problèmes de distribution et de tournage. Co-production oblige, le film parlait italien comme Meursault, le héros ou Mastroïani, l’acteur principal. Belmondo et Delon avaient été évincés, mais tous les second rôles étaient confiés à des « figures » pitoresques du cinéma français (Jacques Monot, Bernard Blier, Alfred Adam, Georges Wilson, Bruno Crémer, Pierre Bertin, Georges Géret) sans que vraiment soit recherchée l’exhubérence méditerranéenne ). Seule Anna Karina, fraîche égérie de la nouvelle vague, saurait tirer son épingle du jeu. La prouesse de l’époque fut l’autorisation de tourner en Algérie, dans les rues et sur le port d’Alger comme dans la campagne environnante. Les autorités d’alors étaient très sourcilleuses quant à l’utilisation de leur paysage par des étrangers, de plus Camus n’était pas en odeur de sainteté chez une poignée de fonctionnaires nationaux. Ceux qui ont permis ces magnifiques plans sur la baie, ces flots de lumière dorée sur la plage, ces noces barbares du ciel et de la terre, de la vie et de la mort, ont droit à notre gratitude. Il n’en fut pas toujours ainsi. Le film fut un échec, accablé par la critique, négligé par le public. Ne suscitant chez les camusiens ou les viscontiens, qu’une curiosité polie. Il devait rester des années au purgatoire. Sa redécouverte n’en fera pas un chef d’œuvre, mais une expertise plus équitable et un recadrage dans le temps devraient le sortir de sa quarantaine. André Videau