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Nulle part dans la maison de mon père

C’est un livre de la déchirure, de la mise à nu tout autant que de la libération et de la reconstruction que nous offre Assia Djebar avec son dernier ouvrage Nulle part dans la maison de mon père paru aux éditions Actes Sud.

C’est un livre de la déchirure, de la mise à nu tout autant que de la libération et de la reconstruction que nous offre Assia Djebar avec son dernier ouvrage Nulle part dans la maison de mon père paru aux éditions Actes Sud. Dans cette autobiographie partielle, puisqu’elle couvre essentiellement les années de jeunesse et d’adolescence, point de construction chronologique. Plutôt une reconstruction qui privilégie l’instantané, où chaque souvenir en appelle un autre. « Ecrire, revivre par éclairs, pour approcher quel point de rupture, quel envol ou à défaut, quelle chute ? » L’auteur évoque sa famille - algérienne traditionnelle bourgeoise-, son père instituteur aimant mais « victime de son ignorance rigoriste et des préjugés de son groupe », ses années solitaires d’internat « j’oublie que, pour mes camarades, je suis différente, avec le nom si long de mon père et ce prénom de Fatima qui m’ennoblissait chez les miens mais m’amoindrit là », son amour de la lecture, son rapport aux langues, l’arabe « langue-peau » opposée au français « langue du masque », « l’influence des tabous de [son] éducation » comme sa volonté précoce d’échapper à « l’étroitesse intellectuelle ». Mais c’est avant tout le besoin de s’expliquer un « geste auto-meurtrier » - qui la conduira à épouser un homme auquel elle est restée mariée 21 ans – qui a imposé l’écriture : « D’où vient l’épaisse, la boueuse mémoire, giclant de soubresauts d’un volcan intérieur, fusant hors de nous, oh, deux ou trois fois seulement dans une longue vie ? » Avec ce livre-catharsis, c’est aussi une clé qu’offre Assia Djebar à ses lecteurs pour comprendre son œuvre et éclairer notamment ses personnages féminins obstinément attachés à la liberté. Mais Nulle part dans la maison de mon père est plus qu’un simple « autodévoilement », un retour sur « un chemin de vie ». Car au-delà de l’expérience intime et poignante qui constitue le matériau premier, c’est également un regard sociologique que l’académicienne porte ici sur l’Algérie du milieu des années 30 à 50. Avec, entre autres, un témoignage passionnant sur la condition des femmes et la « séculaire séparation des sexes » comme sur la période coloniale et le clivage entre Algériens et Français, « la société des « Autres » et celle des indigènes », « monde coupé en deux parties étrangères l’une à l’autre, comme une orange pas encore épluchée que l’on tranche n’importe où, d’un coup, sans raison ! Mieux vaudrait en dédaigner les morceaux. Coupé ainsi, ce fruit serait bon à jeter, jusqu’à plus soif ». Maya Larguet
Nulle part dans la maison de mon père, Assia Djebar, Actes Sud, 2010