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Où est le mystère de l’identité nationale ?

L’helléniste de renom, adepte des approches comparatives, des échappées spatio-temporelles, transdisciplinaires et autres migrations ethnographiques, Marcel Detienne, se penche ici sur le mystère de l’identité nationale…

L’helléniste de renom, adepte des approches comparatives, des échappées spatio-temporelles, transdisciplinaires et autres migrations ethnographiques, Marcel Detienne, se penche ici sur le mystère de l’identité nationale. Ce n’est pas tant la création, en 2007, du ministère du même nom que la réponse de René Rémond au discours de réception de Pierre Nora à l’Académie française en 2002 - dans lequel le premier loue l’attention que le second porte dans son œuvre au “ mystère de l’identité nationale ” - qui excita la curiosité intellectuelle de l’auteur. Le livre est court, touffu, agrémenté de photos et de quelques textes-citations puisés dans un vaste corpus qui va de Platon à Bruno Mégret en passant pas Heidegger, Karl Popper ou Pierre Nora. Marcel Detienne déploie moins ici une grille de lecture tout terrain et systématique qu’il n’ouvre des pistes de réflexion sur cette notion d’identité nationale qu’il a choisi d’aborder par trois de ses constituants : la terre qui “ d’une rive à l’autre du Rhin, fait alliance tantôt avec le sang, tantôt avec les morts ”. Il avait déjà, en 2003, titiller le mythe de l’autochtonie et des racines(1). Il mobilise, oppose souvent, une certaine histoire, l’histoire nationale du XIXe et l’école des Annales, qui enracine, sacralise, missionne, singularise, “ mythidéologise ” et l’anthropologie qui décentre, allège, diversifie, compare. Il met en perspective, historique et culturelle, une notion qui ne va pas forcément de soi, qui reste, à bien des égards, effectivement mystérieuse, et qui sous d’autres latitudes ou périodes, quand elle existe, s’accomode d’autres représentations. “ Mettre ces représentations en perspective dans le temps et dans l’espace conduit à comprendre combien la plupart de nos évidences en matière d’identité sont étranges et improbables pour qui se décide à les considérer d’ailleurs, et souvent de plus loin. ” Il faut aussi se rappeler les mots du jeune Gide sur le culte de la terre et des morts : “ Né à Paris, d’un père uzétien et d’une mère normande, où voulez-vous, monsieur Barrès, que je m’enracine ? J’ai donc pris le parti de voyager. ” Quid alors de ces Français nés d’un père et d’une mère venus d’ailleurs et, tout aussi nombreux, celles et ceux dont les morts reposent dans une terre autre que la terre de France ? La joyeuse clairvoyance de Gide comme la sémillante érudition de Detienne s’opposent aux tristes et parfois mortifères contritions du penseur lorrain qui avait huit ans en 1870, année de la défaite. “ Le parti de voyager ” est une solution, et, de ce point de vue, le nomadisme contemporain bouscule bien des certitudes. Reste que le fond de l’affaire n’est peut-être pas tant de nier l’existence des identités, nationales ou autres, mais de mesurer ce qui en elles, en leur singularité, conduit à claquer la porte au nez de l’importun ou au contraire à accueillir, bras ouverts, l’inconnu. Mustapha Harzoune 1- Comment être autochtone, éd. Seuil, 2003.
Marcel Detienne, Où est le mystère de l’identité nationale ?, Ed. Panama, 2008, 153 pages, 18€.