Archives

Pour une histoire franco-algérienne. En finir avec les pressions officielles et les lobbies de mémoire

Le colloque intitulé Pour une histoire critique et citoyenne au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire : le cas de l’histoire franco-algérienne s’est tenu à Lyon, en juin 2006, en réaction à la loi du 23 février 2005 où le législateur prétendait imposer, à l’historien mais aussi au citoyen, sa vision de l’histoire coloniale via notamment l’article (abrogé depuis) sur le “ rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ”. Les soixante-quinze communications (disponibles sur le site http://colloque-algerie.ens-lsh.fr/.) sont ici synthétisées. Elles dressent le tableau des connaissances de l’histoire franco-algérienne, de 1830 à nos jours. Six chapitres en rythment l’exposition : la colonisation, les traces de la colonisation, la question nationale algérienne, la guerre d’indépendance, la migration algérienne et ses représentations et enfin, “ les défis de la demande sociale d’histoire ”.

Le colloque intitulé Pour une histoire critique et citoyenne au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire : le cas de l’histoire franco-algérienne s’est tenu à Lyon, en juin 2006, en réaction à la loi du 23 février 2005 où le législateur prétendait imposer, à l’historien mais aussi au citoyen, sa vision de l’histoire coloniale via notamment l’article (abrogé depuis) sur le “ rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ”. Les soixante-quinze communications (disponibles sur le site http://colloque-algerie.ens-lsh.fr/.) sont ici synthétisées. Elles dressent le tableau des connaissances de l’histoire franco-algérienne, de 1830 à nos jours. Six chapitres en rythment l’exposition : la colonisation, les traces de la colonisation, la question nationale algérienne, la guerre d’indépendance, la migration algérienne et ses représentations et enfin, “ les défis de la demande sociale d’histoire ”. Ce vaste tour d’horizon dresse d’abord une liste saisissante des traumatismes et des violences infligées à la société algérienne depuis la conquête jusqu’en 1962. Il détaille les nombreuses fractures que l’administration coloniale fit subir à une société civile divisée entre “ Européens ” et “ Musulmans ”. Pourtant, en matière de représentations, l’immigration algérienne fut, un temps, préférée à l’immigration italienne, ou polonaise. Il n’était pas alors question de “ choc des civilisations ” mais plutôt de “ races inférieures ” et de “ races antagonistes ”, entendre Allemands, Italiens et autres Polonais sous influence soviétique… Un temps seulement, car l’immigration algérienne se verra préféré une immigration européenne (portugaise notamment). Alors, à “ l’intégration réussie ” des immigrés européens d’hier, on opposera “ l’intégration difficile ” voire impossible des immigrés post-coloniaux. Les Algériens cumuleront l’infériorité et l’antagonisme. La “ diversité ” pourrait être le maître mot de ce colloque. Cette notion invite à rompre avec les généralisations, les simplifications et autres “ essentialisations ”. Les contributions montrent la diversité des Algériens, des Juifs algériens, des colons et autres “ Pieds-noirs ”, la diversité aussi des pratiques musulmanes submergées, “ désagrégées ”, par le réformisme musulman porté entre autres par Ben Badis. S’il n’y a pas eu “ créolisation ” en Algérie des populations, chacun ignorant l’autre dans un climat de “ cohabitation conflictuelle ”, il n’en reste pas moins que “ pour les Algériens comme pour les Européens, la définition de soi comportait une référence à l’autre ”. Quid aussi de la concurrence des mémoires ou des historiographies d’État ? Sur ce point, le colloque s’est attaché à rétablir le rôle et la fonction de l’historien face aux pressions mémorielles et étatiques : “ Vidal-Naquet expliquait à ce propos que, à la différence du mémorialiste, attaché à collecter des faits et des hommes du passé et à cultiver leur souvenir, le travail de l’historien consistait à construire des “ ensembles ” (…) Autant le mémorialiste s’intéressera à un homme ou à un événement indépendamment de tous les autres, pour lui-même, autant l’historien examinera ces objets dans leur relation d’appartenance à un ensemble ”. Face à ces exigences, on peut, peut-être, renvoyer dos-à-dos les instrumentalisations étatiques. Il est pourtant difficile de mettre sur le même plan les conséquences, en France et en Algérie, des silences et des réécritures officielles. L’accaparement et le détournement de l’histoire du nationalisme algérien et de la lutte pour l’Indépendance par une fraction du FLN, (l’armée des frontières, Boumediene et consorts) en niant une histoire riche de personnalités et de courants de pensée divers, en niant aussi le multiculturalisme de l’Algérie a sans doute conduit, en grande part, au drame. Dans ce contexte, “ la production identitaire de la nation algérienne ” ne vient pas du peuple, “ mais d’un régime autoritaire qui non seulement a pris le pouvoir (…) mais aussi produit une mémoire en discordance, voire en flagrante contradiction avec la réalité (et le passé) vécue des Algériens eux-mêmes ”. Si, faisant référence aux expériences sud africaine et marocaine, “ entre justice et mémoire existe un lien intime ”, alors l’Algérie n’est pas prête de connaître la paix : “ L’enterrement de l’histoire ” qui consiste dans le refus, par le pouvoir actuel, de laisser paraître au grand jour les crimes commis et de traduire leurs auteurs devant une justice digne de ce nom ne peut être, tôt ou tard, qu’une “ source de violence nouvelle et d’un déchirement encore plus aigu d’une société algérienne déjà traumatisée ”. Au cœur de ces débats, le colloque a montré qu’il y a la difficile question de la transmission, notamment à un public scolaire. Et son corollaire, la question des identités. En Algérie comme en France. Mustapha Harzoune
Frédéric Abécassis et Gilbert Meynier (sous la direction de), Pour une histoire franco-algérienne. En finir avec les pressions officielles et les lobbies de mémoire, éd. La Découverte, 2008, 250 pages, 20 €.