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Reprises culte : Rue Cases-nègres et Les hors-la-loi

Actuellement sur les écrans, deux reprises, vision d’un « autre » cinéma : Rue Cases-nègres, film antillais de Euzhan Palcy datant de 1980 et Les hors-la-loi, film algérien de Tewfik Farès de 1968.

Actuellement sur les écrans, deux reprises, vision d’un « autre » cinéma : Rue Cases-nègres, film antillais de Euzhan Palcy datant de 1980 et Les hors-la-loi, film algérien de Tewfik Farès de 1968. Rue Cases-Nègres La Martinique en 1930, à la veille de l’exposition universelle. Splendeurs en demi-teintes et notes discordantes. Nous sommes à Rivière Salée, à 2000 kilomètres de la métropole. Dans la Rue Cases-Nègres vivent sur deux rangées de cabanes de planches et de branchages, les coupeurs de canne et leur famille. Etroitement surveillés, rudement encadrés, chichement rémunérés par les sbires des grands propriétaires blancs (les Békés). Cela ne s’appelle plus l’esclavage, mais ne s’en différencie guère, comme si l’on avait là une version martiniquaise (et édulcorée) de La case de l’oncle Tom. Nous allons suivre l’itinéraire édifiant du jeune orphelin José (Gary Cadenat, interprète idéal auquel allaient s’identifier des générations d’enfants pauvres et d’écoliers « boursiers » et dont on a malheureusement perdu la trace). Il est élevé, dans un mélange de rudesse bourrue et de tendresse, par sa grand-mère M’an Tine (Darling Légitimus) fumeuse de pipe invétérée, et selon les principes ancestraux du vieux Medouze. Mais c’est la fréquentation de l’école laïque, mêlant efforts, sacrifices et dons naturels, qui lui permettra de gravir les étapes de l’ascension sociale. Les rebuffades causées par le racisme ambiant contribuant à forger son caractère. Le certificat d’études à la Communale, la bourse, l’internat, les diplômes écartent définitivement les fatalités de la plantation. Adaptation du roman éponyme de Joseph Zobel (Editions Présences Africaines- 1974-), le film de la réalisatrice Euzhan Palcy a été couronné de récompenses officielles : Lion d’Argent à la Mostra de Venise en 1983 ; Lion d’or pour l’interprétation féminine à Darling Légitimus. Mais ces Quatre cent coups créoles n’émurent pas que Truffaut et les jurés des festivals. Le succès perdure et le film est considéré comme une sorte de classique de portée universelle. Esthétiquement il faut ajouter que l’alternance du sépia et du technicolor, ajoute un charme discret de gravure, comme la patine mélancolique des temps révolus. La mise sur le marché de copies neuves et d’un DVD devrait éveiller l’intérêt d’un nouveau public, notamment juvénile. Même si selon le réalisateur antillais Christian Lara « sortir ou re-sortir un film en métropole, équivaut à faire Paris-Brest à la rame ». Les Hors-la-loi Dans l’euphorie des années qui suivirent l’indépendance, le cinéma algérien, doté de moyens conséquents et de solides appuis idéologiques, pouvait se croire promis à des lendemains qui chantent. La création et l’industrie cinématographiques trouveraient une place de choix parmi l’industrie industrialisante, la réforme agraire, l’alphabétisation, l’arabisation, les nationalisations, l’islamisation… Il n’y aurait qu’à suivre les exemples des démocraties populaires et des pays frères. Sauf que le formatage idéologique et son corollaire, la limitation de la liberté d’expression, ajoutés à la restriction des moyens (financiers, techniques, artistiques) allaient gravement compromettre les réalités et les perspectives. Le cinéma algérien fut plutôt mort-né qu’agonisant, malgré l’attribution démonstrative d’un grand prix à Cannes en 1975 pour Chronique des années de braise de Mohamed Lakhdar Hamina. C’est dans cette période de dynamique en sursis qu’il faut situer Les Hors-la-loi de Tewfik Farès. L’Algérie faisait son premier western, son premier film en couleurs, sa première épopée populo-héroïque. Le succès ne fut pas tout à fait au rendez-vous. On signala surtout les insuffisances et les maladresses d’une imitation du western hollywoodien ou du western spaghettti à l’italienne. Personne ne chercha à dissiper le malentendu. Malgré quelques faux-semblants plutôt habilement imités Les hors-la-loi n’étaient ni « Pour une poignée de dinars », ni « Mon brigand bien-aimé dans les Aurès » ou « Oued Bravo ». L’accompagnement musical de Moustaki n’était qu’un erzat d’Ennio Morricone. Les 3 prisonniers en cavale : Slimane le fils modèle, déserteur de l’armée (Sid Ahmed Agoumi), Ali, le beau gosse, tête brûlée (Mohamed Chouikh), Moh le vieux musico rigolo (Nourdine Cheikh) avaient plus pour mission de se forger une conscience révolutionnaire en butte à l’ordre colonial (le caïd, ses fils, les gendarmes, les militaires…) que de jouer les bandits d’honneur, redresseurs de tords. Le didactisme à l’ordre du jour ne laissait pas de place au glamour ou à l’imprévu. Le vide sentimental était tout entier comblé par l’amour maternel, le dévouement filial. Avec le recul de plusieurs années, on est beaucoup plus indulgent et… mélancolique. On ne peut revoir le film sans des pincements au cœur. Ceux que l’on ressent devant un bon sujet qui ne demandait qu’à caracoler, devant la carrière bridée d’un jeune réalisateur qui aurait pu tracer sa route. Après des exercices difficiles, Tewfik Farès s’expatria et poursuivit une honorable carrière de documentation, de création et de formation au service des populations immigrées. André Videau