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Roms et Tsiganes

Universitaire et auteur, fondateur en 1979 et directeur jusqu’en 2003 du Centre de recherches tsiganes de l’université Paris-Descartes, Jean-Pierre Liégeois livre en une centaine de pages, tout ce qu’il faut savoir (ou presque) sur ces Roms, Tsiganes, Egyptiens, Gitans ou Gypsis, Bohémiens, Manouches... Une centaine de pages pour essayer de chasser de nos esprits ces préjugés qui font des Roms des voleurs, des délinquants, des adeptes de la sorcellerie et autre diablerie, des mendiants dont les grosses cylindrées qui tractent de belles caravanes inoculent le virus de la suspicion chez les bonnes gens.

Ainsi les quelques 12 à 15 000 Roms Roumains et Bulgares qui se baguenaudent dans le pré carré national, mais aussi européen, qui survivent dans des campements insalubres, sont devenu l’objet de toutes les attentions sécuritaires et de toutes les priorités gouvernementales. « 300 campements ou implantations illicites devront avoir été évacués d'ici trois mois, en priorité ceux des Roms » stipulait une circulaire du 5 août 2010 signée par Michel Bart, le directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur et adressée à l’ensemble du corps préfectoral. Voilà qui étonna plus d’un Français, choqua nombre de républicains et scandalisa quelques européens dubitatifs. Universitaire et auteur, fondateur en 1979 et directeur jusqu’en 2003 du Centre de recherches tsiganes de l’université Paris-Descartes, Jean-Pierre Liégeois livre en une centaine de pages, tout ce qu’il faut savoir (ou presque) sur ces Roms, Tsiganes, Egyptiens, Gitans ou Gypsis, Bohémiens, Manouches... Une centaine de pages pour essayer de chasser de nos esprits ces préjugés qui font des Roms des voleurs, des délinquants, des adeptes de la sorcellerie et autre diablerie, des mendiants dont les grosses cylindrées qui tractent de belles caravanes inoculent le virus de la suspicion chez les bonnes gens. Des préjugés aux persécutions, il n’y a qu’un pas, et l’histoire, de ce point de vue, ne fut pas mauvaise fille pour ces populations arrivées en Europe à la fin du XIIIe siècle. Jean-Pierre Liégeois distingue les politiques de « réclusion », d’ « expulsion », d’ « inclusion » et depuis peu une phase d’ « indécision ». Reclus : les Roms furent enfermés, réduits en esclavage au XVIIIe siècle dans les principautés roumaines de Moldavie et de Wallachie, internés sous Vichy, exterminés dans les camps nazis. Ce génocide couta la vie à 500 000 d’entre eux et reste peu présent dans les mémoires ; mémoire rom exceptée… Expulsés : les Roms furent chassés au Moyen-âge comme des animaux, rejetés au fil des siècles. Il y a peu, c’est au nom de la « purification ethnique » qu’ils furent pourchassés en Ex-Yougoslavie et, par les temps qui courent, ils subissent des politiques d’exclusion globale et planifiée… A ces politiques d’élimination physique et/ou géographique, se substituèrent des politiques d’assimilation ou d’ « inclusion ». L’auteur en montre toute l’ambiguïté : in fine, elles visent à faire disparaître des cultures classées comme déviantes, marginales et sources de troubles sociaux. Tout est bon pour rejeter l’autre… Voir sur ce point le roman de Marc Trillard, De sabres et de feu (Le Cherche midi 2006). Enfin, depuis quelques années, l’Europe connaîtrait un moment d’incertitude, prélude peut-être à quelque « innovation » heureuse, soucieuse du bien être, de la citoyenneté, de l’éducation et des cultures des Roms qui forment les minorités les plus discriminées du continent. C’est du moins le sens de nombreuses recommandations émanant d’organismes et d’association européens. Pourtant, le scepticisme gagne au vu des derniers événements qui pourraient, a contrario, laisser craindre une « réactivation du rejet » et voir les efforts et les avancées des dernières années réduits à néant. Sur la culture tsigane (langue, organisation sociale, système de valeurs, règles de solidarité…), Jean-Pierre Liégeois éclaire les regards embués de folklore et d’exotisme. Ainsi, réduire la question rom à un problème migratoire revient à faire l’impasse sur les discriminations - et les persécutions - dont ils sont victimes dans les pays de départ (en Roumanie notamment). Comme l’écrit Jean-Pierre Liégeois, « ce sont les persécutions dont les Tsiganes sont l’objet qui les amènent à fuir ». La mobilité serait ainsi pour la majorité des Roms un élément d’adaptation, plus souvent subie que voulue… Sait-on d‘ailleurs qu’en moyenne, 80% environ des Roms européens sont sédentarisés ? Pour avoir une origine commune - l’Inde lointaine – les Roms n’en constituent pas moins une « mosaïque », un « kaléidoscope » où les parties, solidaires en tant que membres d’un tout, n’en affirment pas moins leur spécificité et originalité, souvent liées aux pays traversés ou d’installation. Le terme Rom acquit sa légitimité en 1971, à l’issue du premier congrès mondial des Roms. Il marque l’émergence sur la scène politique de ces groupes diversifiés et trouve son origine dans la langue tsigane, le romani, elle-même dérivée du sanskrit. Les 8 à 12 millions de Roms forment la plus importante minorité d’Europe. Ils seraient entre 1,8 millions et 2,4 millions en Roumanie, entre 1 et 2,5 millions en Turquie et entre 450 000 à 900 000 en Russie. En France, on estime cette population diverse à environ 400 00 personnes. La grande majorité est de nationalité française. En 1812, les hommes, les femmes et les enfants tsiganes furent fichés dans un carnet anthropométrique obligatoire. Ces fiches serviront utilement à la police de Vichy. La loi de 1969, toujours en vigueur, aménagea, plus qu’elle ne supprima, la loi de 1812 : les carnets de circulation se substituant aux carnets anthropométriques. Elle oblige par ailleurs les tsiganes à une présence d’au moins trois ans dans une commune pour être rattaché à une liste électorale et jouir du droit de vote… Le droit commun impose seulement six mois aux autres Français. C’est dans les années 70 que l’administration française créa le néologisme « Gens du voyage » bien plus réducteur et bien moins poétique que « les fils du vent » de la fin du XIXe siècle. A l’heure de la construction européenne, de la mondialisation, de l’émergence des identités « rhizomes » et du questionnement des identités « racines », les Roms, « mobiles et minoritaires » auraient une « longueur d’avance » qui pourrait servir à leurs contemporains parfois déboussolés. C’est du moins l’avis de l’auteur. Mustapha Harzoune
Jean-Pierre Liégeois, Roms et Tsiganes, édition La Découverte 2009, 125 pages, 9,50€.