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Un moment d’oubli

C’est “ à tous ceux qui sont dehors ” qu’Abdelkader Djemaï dédie son nouveau roman écrit, comme à son habitude, dans un style dégraissé mais toujours savoureux, charnel, et concret. L’auteur, Algérien exilé en France depuis 1993, a décidé de poser son regard sur les SDF, ces laissés-pour-compte que l’on ne voit pas, ou peu, dont on se détourne, indifférent ou troublé.

C’est “ à tous ceux qui sont dehors ” qu’Abdelkader Djemaï dédie son nouveau roman écrit, comme à son habitude, dans un style dégraissé mais toujours savoureux, charnel, et concret. L’auteur, Algérien exilé en France depuis 1993, a décidé de poser son regard sur les SDF, ces laissés-pour-compte que l’on ne voit pas, ou peu, dont on se détourne, indifférent ou troublé. En racontant la “ longue et épuisante dérive ” de Jean-Jacques Serrano, A. Djemaï lui redonne une identité, le convie, l’espace de quelques pages, à rejoindre le cercle des humains. Une question taraude le lecteur tout au long du récit : pourquoi Serrano a-t-il décidé de “ se séparer de tout. De tout sauf de [son] chagrin ” ? Jean-Jacques Serrano est un ancien flic, d’origine italienne par son père qui “ admirait Angiolino Giuseppe Pasquale Ventura, dit Lino Ventura, un rital né comme lui à Parme ”. Le jeune Ventura, le futur Lino, a rejoint, clandestinement, ses parents à Paris… “ à cette époque où on continuait de taper sur les macaronis, il évitait de sortir dans la rue ou de prendre le métro, car il craignait d’être arrêté par la police ”. Dans ces années trente, Lino Ventura évitait, lui, de traîner dehors. Aujourd’hui, Jean-Jacques Serrano erre dans les rues, s’endort sur les bancs publics ou sous les ponts. De Ventura à Serrano, des clandestins, ceux d’hier comme ceux de Calais ou d’ailleurs, aux SDF des villes de France, A.Djemaï dresse une passerelle : “ Personne ne sait ton nom ni d’où tu viens. Tu n’as même pas un sobriquet, méchant ou sympathique. Ni de chien ou de chat pour te tenir compagnie. Tu n’es qu’un fantôme sans prénom, une silhouette morte, une ombre creuse qui se traîne sur les trottoirs de S… (…). Tu es une sorte de clandestin à visage découvert, un réfugié maigre et dépenaillé. A la différence des étrangers, tu n’as pas à te cacher (…) ”. Il est vrai aussi que ce “ clandestin usé comme ses semelles, enfermé en lui-même et dans les frontières de son propre pays. (…) ” peut, lui, être secouru, aidé, sans que cette solidarité ne conduise nécessairement devant un tribunal. Et pourtant, “ il nous faut à présent aller vite pour raconter ton histoire. (…) ” écrit A.Djemaï. “ Vite ” ! Comme des regards furtifs et fuyants. Mustapha Harzoune
Abdelkader Djemaï, Un moment d’oubli, éd. du Seuil 2009, 86 pages, 13€.