Adolphe Karaimsky
Né en 1882 à Kreutzburg, dans la partie lettone de la zone de résidence sous l’Empire russe, Adolphe Karaimsky est l’aîné d’une fratrie de neuf enfants juifs russes. Premier de la famille à arriver à Paris, en décembre 1903, Adolphe se "met à son compte" deux ans plus tard.
La mémoire familiale retrace le passé socialiste d’Adolphe, qui aurait sympathisé avec Lénine, Boukharine ou encore Trotski, eux aussi installés dans le XIVe arrondissement mais rien, dans les archives, ne permet cependant d’étayer ce souvenir. Pourtant Adolphe est dénoncé en mars 1918 par une lettre anonyme à la Préfecture de police de Paris comme "débauché, francophobe et germanophile ayant tenu en maintes occasions des propos défaitistes". Suite à cette dénonciation, il est envoyé au camp d’étrangers de Précigné, puis expulsé en Russie.
Cette rupture le précipite vers un nouveau départ. Si, dans les premiers temps de la migration, sa trajectoire paraît relativement typique des parcours de l’immigration juive russe, elle s’écarte alors nettement de la prétendue norme pour emprunter des chemins professionnels innovants et surprenants.
Dès le début des années 1920, revenu en France, Adolphe Karaimsky commence à acheter terrains et pavillons en banlieue parisienne, au sud de Paris, de l’autre côté de la porte d’Orléans, parallèlement à son activité de tailleur. Profitant du développement de la banlieue pendant l’entre-deux-guerres, il s’engage avec succès dans la construction de lotissements à Bagneux, Bourg-la-Reine, Sceaux, Antony, mais également à Bondy et Drancy. Le poids des opportunités locales sur cette extraordinaire réorientation professionnelle est central : le contexte est à la mutation de la demande de logement dans les classes populaires urbaines, sur fond de crise du logement.
Le succès de la réorientation d’Adolphe Karaimsky tient aussi à son sens publicitaire. Les noms donnés aux lotissements (Jean Jaurès, l’Avenir des travailleurs), les prospectus et affiches distribués aux potentiels acquéreurs développent un discours "anti-propriétaire" pour vanter l’accès à la propriété des "prolétaires" utilisant la rhétorique socialiste pour tenter de convaincre de potentiels acheteurs. "Les prolétaires pouvaient enfin, par la vente à crédit des terrains et même des maisons, non plus grever leurs faibles budgets de Travailleurs par des loyers de plus en plus élevés, mais bien obtenir, par les sacrifices de paiements échelonnés, un foyer leur appartenant" (brochure Causerie sur les lotissements, non datée, archives privées Liliane Karaimsky). L’entreprise connait la prospérité, changeant alors de nom commercial : Kara d’abord, Carat ensuite.
Claire Zalc, chargée de recherches au CNRS, Institut d’histoire moderne et contemporaine
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