4Entretien audio avec Gyps
Gyps est un enfant d’Alger. Né en 1967, de père algérien et de mère française, son enfance, "heureuse", s’épanouit dans l’Algérie des années 70. En octobre 1988, quand la jeunesse d’Alger, qui n’a que faire des saisons, creuse les premiers sillons des "printemps arabes" - huit ans après un autre printemps, berbère celui-là – Gyps a 21 ans. Autant dire qu’il s’éveille à la politique. Comme bien d’autres de sa génération, elle lui tombe dessus, dans ce bouillon démocratique dont les effluves finiront par retourner les tripes et les âmes. "Octobre 1988, c’est le déclic, ah ouais ! c’est le déclic" dit-il.
Le bac en poche, il se dirige vers un BTS en raffinage pétrochimie qui le mènera… à la BD. Les voies du socialisme façon chorba algérienne étant impénétrable, le gamin qui dessinait tout ce qui bouge se retrouve au début des années 90 à croquer ses concitoyens et la tchouchouka politique de l’après octobre 88 dans une presse algérienne devenue, d’un coup, surabondante. "J’ai commencé à faire mes petits dessins dans la presse etc.… c’est comme ça que j’ai commencé parce qu’en Algérie on aime bien le dessin, on aime bien les dessinateurs de presse".
De 1990 à 1994 il collabore à plusieurs journaux, notamment à l'Hebdo Libéré, avant d’embarquer pour la France avec l’"envie de faire une vie artistique. J’avais fait Fis end love, mon premier album et je voulais continuer".
De ces premières expériences en professionnel, sort donc en 1995 Fis end love qui "retrace justement toute la période des années 1990, et avec tous les détails, parce que bon, quand je fais cette album, j’en ai gros sur la patate… Tous les dessins ont été fait en Algérie, j’y raconte tout, le terrorisme et tout ça". L’humour pour conjurer la terreur et prendre la tragédie à la gorge.
En 1998, sort son deuxième album, Algé-rien. Gyps continue de promener son regard et ses crayons sur la société algérienne. Cette fois, il privilégie "les gens" : "c’est l’album que j’ai fait parce que j’en ai eu marre de parler du terrorisme. Après Fis end love, j’avais envie de parler des gens". Lui qui avait suivi pendant deux ans des cours de théâtre au Centre culturel français à Alger, monte, à partir de cet album, un spectacle. En 1999, Algé-rien, devient donc un one-man-show.
Après L'Algérie c'est comme ça (2003) et presque quinze ans en France, le dessinateur et scénariste n’allait pas épargner (et gratifier) de son humour ses nouveaux concitoyens. Le passage du statut d’exilé à celui d’émigré est entamé et le "décalage" avec le bled se concrétise en 2009 avec l’album Algé-rien de France. Gyps n’est pas encore "beur" mais plus tout à fait "blédard"…
"Algé-rien de France raconte quinze ans de vie en France, comment on se positionne, la vie, le quotidien. Je reviens donc avec cet album sur le social". BD souvent hilarante où Gyps aborde des thèmes nouveaux, ceux de l’intégration, du rapport entre les cultures, de la laïcité, des différences entre retraités français et chibanis, des "beurs" et des émeutes urbaines, des bifurcations qui s’opèrent entre les générations, y compris en matière religieuse, l’intégrisme y voisine avec le mariage mixte ou l’immigration chinoise et subsaharienne en Algérie.
Cinq BD (en 2011 il scénarise Wallou en Algérie, dessiné par Dahmani) et un spectacle plus tard Gyps, dynamique et volubile quadra à cheval entre Alger et Paris, a su imposer, du texte à la scène en passant par le dessin, son humour décapant, mélange d’autodérision et de traits - de plume comme de crayon – fulgurants et mordants.
L'entretien
Mustapha Harzoune