Alice au pays du racisme
A 25 ans, Alice Zeniter a déjà écrit trois pièces de théâtre et deux romans, dont le dernier, Jusque dans nos bras, a reçu le premier Prix littéraire de la Porte Dorée. L’histoire d’un mariage blanc entre deux jeunes amis dans laquelle l’auteure laisse beaucoup d’elle-même. Portrait.
Alice Zeniter a le sens du détail. Du moins le souci de la ponctuation. A la fin de l’entretien, elle précise : "pourriez-vous éviter de mettre des points d’exclamation à la fin de mes phrases pour me citer ? J’ai l’impression de renvoyer l’image de quelqu’un d’hystérique qui s’enthousiasme pour un rien". Point d’exclamation donc. Et il faut bien le dire, Alice Zeniter n’a rien d’une hystérique ni de l’idée qu’on peut s’en faire. La jeune femme semble posée, réfléchie, un brin réservée. C’est d’ailleurs pour vaincre une timidité maladive que sa mère l’inscrit à douze ans à des cours de théâtre. "C’est devenu une passion" explique cette diplômée de Normale Sup option théâtre qui savait lire et écrire à quatre ans, a publié son premier roman à quatorze et a trois pièces à son actif. A 25 ans, celle qui rêvait de devenir pharmaco-chimiste est désormais dramaturge et prépare une thèse sur Martin Crimp, un auteur de théâtre britannique contemporain méconnu en France.
Première lauréate du Prix littéraire de la Porte Dorée
"La Grande Histoire du racisme"
Sous la plume d’Alice Zeniter, le débat politique devient donc matériau d’écriture, avec une envie : "éviter le pathos et aborder le sujet avec une certaine jeunesse et une énergie qui empêchent qu’on s’arrête pour verser une larme". C’est donc avec une légèreté et une naïveté adolescentes que le personnage principal de Jusque dans nos bras prend la parole pour conter "la Grande Histoire du racisme". Un sujet sensible pour l’auteure, fille d’une mère française et d’un père algérien, qui a grandi dans un petit village normand. "A la sortie du livre, j’ai entendu dire que l’antiracisme c’était enfoncer des portes ouvertes. Si on vit à Paris, dans un milieu favorisé, il peut sembler évident que le racisme c’est mal. Mais dans les endroits où il y a peu d’immigrés, on y est quotidiennement en butte même dans des formes qui ne se veulent pas agressives." La jeune femme se souvient : "C’est compliqué quand on est gamine d’être l’Arabe de service. Quelque chose de votre identité vous est renvoyé par les autres avant même que vous n’en ayez conscience. Du coup, on se sent une responsabilité, on se dit qu’on a intérêt à montrer que les Arabes c’est bien". Marquée par ce passé "pesant", Alice Zeniter entend aujourd’hui accepter avec fierté le Prix de la Porte Dorée en ce sens qu’il récompense un ouvrage qui traite de l’exil et non pas une personne issue de l’immigration : "Cette idée me serait insupportable. Quand j’ai publié mon premier roman ou que j’ai intégré Normale, on m’a dit "super, tu as réussi à arriver jusque là alors que ton père est arabe". Je refuse d’être le symbole de l’intégration réussie, comme s’il y avait un paradoxe à réussir alors qu’on est arabe ou africain". De la même façon, Alice Zeniter se refuse à être présentée comme porte-parole de la jeunesse antiraciste : "Mon livre n’est pas un manifeste politique, précise-t-elle. Il est trop faible pour cela".
Livrer une part de soi
Pourtant, l’ombre d’Alice Zeniter plane entre les lignes de Jusque dans nos bras. "Je me tiens juste derrière mes personnages et partage la plupart de leurs idées" concède l’auteure qui, dans son autofiction, va jusqu’à prêter son nom, son parcours et ses origines à son héroïne : "Je puise tellement dans ma vie et celle de mes proches qu’il était ridicule de prétendre que c’était un personnage". A quelques détails près puisque l’auteure n’a jamais épousé un ami sans papiers menacé d’expulsion : "Je ne sais pas comment j’aurais réagi dans la même situation" admet-elle. La question de l’engagement citoyen semble d’ailleurs peser sur les épaules de celle qui confie avoir été atterrée par la campagne contre les Roms et suivre avec intérêt, et parfois inquiétude, les débats sur l’intégration, l’immigration ou l’identité : " je suis abattue dès que je réfléchis à mon pouvoir d’action. On dit toujours qu’il faudrait changer les choses mais on reste le cul sur son tabouret". La politique, Alice Zeniter y croit peu : "je manque totalement de confiance en les politiciens" souffle-t-elle malgré une tribune adressé à Nicolas Sarkozy dans Libération. Pour cette admiratrice de Faulkner et de Tchekhov, le salut passe peut-être par l’éducation : "Animer des ateliers d’écriture pour les enfants en difficulté, je crois que ce serait une manière pour moi d’œuvrer en faveur de l’égalité des chances. Mais là encore, je ne suis pas sûre que ce soit la bonne solution". Interrogations. Et points de suspension.
Maya Larguet
Entretien
- Vous êtes algérienne par votre père mais vous n’êtes jamais allée en Algérie. Est-ce que la question des origines, très présente dans votre livre, vous préoccupe ?
- Quel sens a le titre de votre livre Jusque dans nos bras ?
- La narratrice de votre livre est une jeune adulte. De ce fait, votre style épouse le "parler jeune", il est très proche de la langue orale. Est-ce là le style Zeniter ?
Propos recueillis par Maya Larguet
Le Prix littéraire de la Porte Dorée récompense une œuvre de fiction en langue française abordant le thème de l’exil ou l’immigration. La remise du Prix littéraire de la Porte Dorée 2011 aura lieu jeudi 26 mai à 19h30.
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