Les ouvriers agricoles polonais en France au XXe siècle
Les campagnes polonaises ont longtemps secrété une immense misère. Parfois les paysans ne possédaient aucun bien propre et louaient leurs bras chez les grands propriétaires terriens du voisinage. D’autres disposaient d’exploitations minuscules dont ils ne tiraient pas de quoi se nourrir. D’où l’habitude prise d’émigrer, dès le XIXe siècle vers l’Amérique ou l’Allemagne puis, au siècle suivant, vers la France.
Un timide essai avant 1914
Cette première expérience ne donne pas de très bons résultats : obstacle de la langue, habitudes de travail différentes et un temps de présence trop bref pour s’adapter. C’est alors que la princesse Czartoryska, membre d’une des plus hautes familles de l’aristocratie polonaise, fonde une œuvre nommée Opieka Polska (La Protection polonaise) pour secourir ses compatriotes en France dans la détresse. Puis surviennent les hostilités qui bloquent sur place ceux présents l’été 1914.
L’ère du recrutement massif
De quatre ans de combats, la France sort victorieuse mais exsangue : un million quatre cents mille morts, de nombreux mutilés inaptes à reprendre le travail. Le pays éprouve un besoin immédiat de main-d’œuvre supplémentaire. Vu l’importance de l’enjeu, l’Etat prend l’initiative de s’adresser aux gouvernements de pays alliés ou amis : la Pologne qui vient de renaître en tant qu’Etat indépendant, mais aussi l’Italie et la toute jeune Tchécoslovaquie. Le 3 septembre 1919, Paris signe avec Varsovie une convention d’émigration/immigration. Des contrats de travail d’un an vont lier des ouvriers et ceux qui les engagent. La France obtient le droit d’effectuer le recrutement en Pologne même, dans des centres de regroupements ouverts à cet effet. Administrateurs, personnel médical, représentants du patronat sont tous français. Les médecins chargés de la sélection éliminent les malades, les souffreteux. Des convois ferroviaires de 600 à 800 personnes mènent à travers l’Allemagne ceux qui ont été acceptés.
Par rapport à l’avant-guerre, la convention d’immigration introduit des clauses qui constituent un progrès. En particulier, les étrangers devront recevoir une rémunération égale à celle des nationaux de même catégorie. Ce principe trouve ses limites dans l’agriculture, surtout si le petit propriétaire exploitant ne se fait aider que d’un seul valet ou d’une seule bonne de ferme. Car tout est codifié : le salaire du vacher dépasse celui du bouvier, lui-même supérieur à celui de "l’homme à toute main" ; les garçons de 16 à 18 ans gagnent moins que les adultes et les femmes encore moins.
Répartis sur presque tout le territoire, des régions de grande culture comme le Soissonnais aux terres pauvres du Massif central, leur vie est si pénible que, le contrat d’un an honoré, beaucoup se dirigent vers une des petites Pologne minières où, après l’isolement et les horaires infernaux qu’ils ont connu à la campagne, règne une atmosphère chaleureuse, de meilleurs salaires et des horaires fixes. Il faut donc sans cesse poursuivre le recrutement.
Le paradoxe des années trente
Contrairement au secteur industriel, la crise économique qui frappe la France de 1931 à 1935 n’inverse pas la tendance antérieure dans le domaine agricole. La main-d’œuvre étrangère, et singulièrement polonaise, s’y maintient en nombre et même s’accroît.
Mal rémunéré certes, mais nullement menacé par le chômage, l’immigré a le temps de s’adapter. Année après année, il apprend à se défendre. Il se sait utile et recherché par les fermiers en peine de trouver des gens compétents. Car tous les employeurs reconnaissent le sérieux, le courage à la tâche, l’endurance des Polonais. Cela n’est pas toujours récompensé par des augmentations. La grande enquête de deux géographes Albert Demangeon et Georges Mauco, Documents pour servir à l’étude des étrangers dans l’agriculture française, effectuée en 1936-1937 et publiée en 1939, donne sur la question salariale des résultats variés : dans certains cas une égalité de traitement, acquise récemment, avec les rares Français employés sur place, dans d’autres, des salaires moindres.
Le sort des jeunes filles
Parcours de vie
Aucun de ceux qui ont fini leurs jours en France ne pensait au départ à un séjour définitif. Mais les années passèrent sans qu’aboutisse le projet d’économiser de quoi s’acheter un lopin de terre au pays.
Il fallut attendre la fin de la crise économique pour avoir de nouveau le droit de prendre un emploi de salarié industriel.
Survint la guerre. Les garçons d’âge mobilisable ont rejoint l’armée polonaise au camp d’entraînement de Coëtquidan (Bretagne) et combattu au printemps 40 sur le front lorrain ou franc-comtois. Ceux qui ne furent pas faits prisonniers regagnèrent l’exploitation agricole antérieure et se firent oublier. L’occupant s’intéressa peu à ces étrangers perdus dans les campagnes.
Les Trente Glorieuses apportèrent un mieux apparent. Mais l’ancien ouvrier agricole accéda à la petite propriété foncière au moment où celle-ci se dévalorisait. Les analphabètes le sont restés, ayant recours à des compatriotes mieux instruits pour les démarches administratives. Naturalisés ou non, parlant un français hésitant, ils ont souvent vieilli loin de leurs enfants qui, scolarisés, ont quitté les métiers de la terre dans les années cinquante. Peu portés à se confier, ils n’auraient pas laissé de récits de vie sans quelques interviews. Des existences de misère, silencieuses et dignes.
En savoir plus sur l'immigration polonaise :
- Podcast : L’immigration polonaise en France, une conférence de Janine Ponty
- Exposition : Polonia, des Polonais en France depuis 1830
- Collection : Le studio de photographie Zgorecki à Rouvroy