Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés
Que peuvent les mots ? Pas ceux qui soulagent, qui aident à cicatriser, qui accompagnent sur nos chemins de résilience. Non, les mots pour que cessent les drames dont nous sommes témoins. Pour prévenir ceux qui s’annoncent.
Où sont-ils ? Quels sont-ils ces mots ? Quelle bouche, quelle plume donnera corps et vie à ces mots-protecteurs, ces mots-barrages, ces mots-résistances ? Ces mots-lumières ? 34 auteurs, écrivains et dessinateurs, sont ici réunis pour souhaiter la "Bienvenue" aux réfugiés qui frappent aux portes de l’Europe. 34 hommes et femmes qui tentent à travers mots et dessins, de résister à l’égoïsme et aux portes qui claquent. Pire, à la clef sous la porte ; la porte de l’Europe. De la France : "Circulez ! Y’a rien à voir. Allez mourir ailleurs. On est fermé !". Honnêteté du poète sur les "professionnels de la parole" : personne ici ne récite son bréviaire, ni ne souille les mots.
Peu de temps avant son assassinat, l’écrivain et poète algérien Tahar Djaout écrivait "le silence, c'est la mort, et toi, si tu te tais, tu meurs et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs". S’il l’on peut douter du poids des mots (voir le peu d’effet sur les consciences de l’abondante littérature sur l’immigration), il resterait donc une certitude : le silence est pire encore, ce silence que Geneviève Brisac, à travers la figure de Charlotte Delbo, qualifie de "crime d’indifférence", de "crime par omission".
Plutôt que de se taire, ces 34 auteurs ont décider de dire et de témoigner. Pour partager. Pour - tel ce colibri remis au goût du jour par Pierre Rabhi - prendre sa part de devoir et de responsabilité dans le devenir collectif. Pour répéter et répéter encore ces mots qui détournent des "passions tristes", ces mots-ciment qui fondent une connaissance pratique.
Il y a ceux qui dénoncent les égoïsmes, l’indifférence. Comme un constat, comme une facilité à se détourner, loi de la "sensibilité kilométrique" (Claude Ponti) ou grâce à "un bon verre de blanc sec" (Nicolas Bedos). Quand d’autres vont jusqu’à se repaître les yeux du spectacle de la misère et de la mort (Philippe Claudel). Dénonciation en forme d’alerte, sans prêchi prêcha moralisateur, qui ne masque pas les doutes (Claude Ponti, Abdellah Taïa ou Valérie Zenatti) ou le malaise qui peut gagner (Brigitte Giraud). Valeur inestimable, ce recueil ne prend pas la pose des "y’a qu’à !", "faut qu’on !" mais, instituant une exigence de verticalité, ne cache pas que sur ce sujet complexe, "on débarque là comme Fabrice à Waterloo, sans rien comprendre" (M.Darrieussecq).
Cela ne laisse pas pour autant sans repères. Il y a alors les mots, implacables, sans échappatoire, qui sautent à la gorge, jetés à la face de nos hypocrisies par le dernier Goncourt, Mathias Enard. Des pages puissantes, tout en rappel historique, politique, géostratégique, des pages circonstanciées sur nos mensonges, compromissions, complicités, responsabilités, lâchetés… pour un résultat : "de cela nous n’avons tiré aucune conclusion" : "Nous mentons. Nous sommes les géographes de la mort. Les explorateurs de la destruction. Nous sommes des concierges".
Il y a les mots-miroir, miroir des corps et des âmes engloutis dans les décombres de nos (ins)suffisances technocratiques, de l’"arrogance occidentale" (Abdellah Taïa) à coups de concepts vides et de froides statistiques. Il faut alors aller au plus près de ces "réfugiés", au plus près de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants pour saisir ce que recouvrent pour des frères en humanité les mots "frontières", "risques" et "traversées" (Minh Tran Huy), la "peur" (Sorj Chalandon), le "courage" nourri de "désespoir" (Pascal Manoukian) et les chemins d’espoir. Miroir de ces douze femmes qui "réparent leur citoyenneté", femmes mobilisées et solidaires du côté de la Porte de Saint-Ouen (Marie Darrieussecq). Miroir aussi d’un pays qui ne serait ni une patrie, ni un drapeau, ni une nationalité, mais un prénom, celui de Leïla, un pays d’amour et de tendresse (Alice Zéniter). Comme aucun chemin d’intelligence et d’humanité ne peut être négligé, il y a aussi ces émotions nées de la richesses des mots, des langues et des univers : fiction ou écriture plus documentaire, politique ou poésie, humour ou sérieux, distance ou plongée dans la gueule du loup, coup de semonce ou frisson, théâtre ou conte…
Restent les mots-lumières. Des mots d’espoir, comme le verbe "donner" où les réfugiés après avoir "subi" et "reçu" ne rêvent, à leur tour, que de "donner" (Philippe Delerm). Donner, prendre leur part à ce désir d’une vie commune dont parle Renan et qui comme le rappelle Lydie Salvayre à propos de la langue, "se régénère toujours dans la rue, par le peuple". "Il y aura quand même une aube" (P.Delerm) qui enveloppera toutes et tous de sa lumière, au point de redonner des couleurs à nos rêves oubliés : "Regardez-les, / Ils ne nous prennent rien. / Lorsqu’ils ouvrent les mains, / Ce n’est pas pour supplier, / C’est pour nous offrir / Le rêve d’Europe / Que nous avons oublié" (Laurent Gaudé).
Et si le doute persiste, il reste à rappeler que les bénéfices de ce recueil de textes rassemblés par Véronique Ovaldé seront reversés au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Une façon déjà d’être utile, d’aider, de réchauffer, de nourrir, de vêtir, de protéger d’un abri de toile, de "sauver des vies et des familles". "Parce que, disait-il [Sartre], ce qui compte ici c’est que ce sont des hommes, des hommes en danger de mort". (Pascal Manoukian).
Mustapha Harzoune