Les Tchèques et les Slovaques en France depuis la fin du XIXe siècle
La présence en France de Tchèques et de Slovaques, alors ressortissants austro-hongrois, remonte aux dernières décennies du XIXe siècle. Elle va fluctuer en fonction du contexte géopolitique et économique : Première Guerre mondiale, création de la Tchécoslovaquie, besoins de main d’œuvre en France, Deuxième Guerre mondiale, arrivée au pouvoir des communistes en Tchécoslovaquie et révolution de velours…
La présence en France de Tchèques et de Slovaques, alors ressortissants austro-hongrois, remonte aux dernières décennies du XIXe siècle. Paris attire des ouvriers, des artistes ou des jardiniers ; quelques restaurateurs et artisans (tailleurs, fourreurs, cordonniers) investissent le quartier du Palais-Royal. En 1914, plus de 3 000 personnes, surtout tchèques (2 000 environ à Paris et dans sa région), vivent en France. Des associations sont créées, comme la Beseda (1862), le Sokol de Paris (groupe de gymnastes) qui lui succède en 1891, ou encore Rovnost (« Egalité », socialiste), qui sont autant de lieux d’entraide pour trouver travail et logement. Les cafés et restaurants tenus par des compatriotes permettent de se retrouver. Désormais, comme le proclame l’écriteau dans la vitrine d’un tailleur de la rue de Rivoli : « Zde se mluví česky » (« Ici on parle tchèque »). Dans le nord industriel et minier, de même qu’en Alsace et en Lorraine alors allemandes, quelques familles tchèques s’installent au début des années 1900.
Vers l’indépendance nationale
En 1917, la Colonie prend le qualificatif de « tchécoslovaque », alors que l’émigration politique a fait de Paris son centre en y installant un Comité National Tchécoslovaque présidé par les futurs fondateurs de l’Etat, Masaryk, Beneš et Štefánik. La participation aux combats, notamment lors de la bataille de la Targette, près d’Arras, le 9 mai 1915, donne à ces Tchèques et Slovaques un ancrage symbolique sur le territoire français et une visibilité auprès de l’opinion et des responsables politiques.
Le temps de l’immigration organisée
En 1918, la victoire des alliés permet la création de la Tchécoslovaquie. En mars 1920, la France signe avec ce nouvel Etat une convention d’immigration pour répondre à ses besoins de main-d'œuvre. On délivre aux immigrants tchécoslovaques qui ont obtenu un contrat de travail une carte de travailleur. Ils arrivent maintenant en convois ferroviaires via le centre de Toul (Meurthe-et-Moselle). Leurs effectifs restent toutefois modestes (environ 60 000, peut-être 70 000 personnes en 1930) et décroissent à mesure que la crise économique provoque chômage et retours au pays.
La figure dominante de l’immigrant tchécoslovaque devient celle de l’ouvrier : agricole pour de nombreux Slovaques disséminés partout en France et recrutés depuis Bratislava par une « Mission française d’immigration en Europe centrale » que le ministère de l’Agriculture crée en 1929 ; industriel pour les autres qui travaillent en banlieue parisienne (Argenteuil, Gennevilliers ou Suresnes), dans le Nord-Pas-de-Calais (Sallaumines, Méricourt, etc.), en Moselle (Merlebach) ou dans d’autres villes industrielles (La Grand Combe dans le Gard, Vianne dans le Lot-et-Garonne). Souvent mineurs, ces ouvriers travaillent aussi dans l’industrie (sidérurgistes, verriers, etc.).
Pendant l’entre-deux-guerres, un milieu national se reconstitue en France, grâce aux associations locales et à la Colonie centrale, avec l’aide du nouvel Etat tchécoslovaque. Bibliothèques et presse associatives, troupes théâtrales, équipes de football ou groupes de gymnastique (le Sokol et ses filiales), cours complémentaires de langue et de culture pour les enfants, dispensés par un(e) moniteur(-trice) tchécoslovaque, célébration de la fête nationale chaque 28 octobre, soirées entre compatriotes, messes dans leur langue, tout ceci rapproche les immigrants tchèques et slovaques, d’autant qu’ils vivent dans les mêmes lieux : la même cité minière, la même rue ou le même hôtel meublé. Il s’agit aussi d’organiser l’entraide au sein de la communauté, localement comme à l’échelle du territoire français tout entier : en 1929, la Colonie devient une société de secours mutuel.
Mais l’entre-deux-guerres est aussi le moment où les Tchécoslovaques partagent la vie des autres immigrés, comme les Polonais, et celle des ouvriers français, qui parfois les convainquent de rejoindre la CGTU. A travers les yeux des enfants qui vont à l’école française, les années passant, la France apparaît de moins en moins comme une terre étrangère.
Face au nazisme
De la Guerre froide à la Révolution de velours
En 1948, avec l’arrivée au pouvoir des communistes, les premiers exilés politiques arrivent de Tchécoslovaquie, mais la guerre froide tarit rapidement ce flux migratoire. 19 000 Tchécoslovaques vivent en France en 1946 : ils ne sont plus que 2 900 en 1975 (auxquels s’ajoutent 10 500 anciens compatriotes devenus Français par acquisition). Avec la disparition progressive de la première génération, la diversification professionnelle et la dispersion géographique, l’assimilation s’accélère, qui passe par la naturalisation et de nombreux mariages mixtes.
Sur le plan politique, une opposition durable divise jusqu’en 1989 les Tchécoslovaques de France. Ceux qui soutiennent le régime bénéficient, via l’Association des Originaires de Tchécoslovaquie, des subsides de l’ambassade et conservent ainsi un lien avec leur pays d’origine où ils retournent en vacances. Ce lien est rompu pour les autres, regroupés au sein du Sokol et de l’association des Anciens Volontaires tchécoslovaques, proches des missions catholiques tchèque ou slovaque. De nouveaux exilés les rejoignent en 1968 après l’échec du Printemps de Prague. L’écrivain Milan Kundera, arrivé en 1975, fait ainsi de la France son « deuxième pays natal » et choisit d’écrire en français.
En 1989, la « Révolution de Velours » entraîne un regain de curiosité pour le pays des (grands)-parents. Beaucoup redécouvrent alors l’histoire commune de la présence tchèque et slovaque en France et réinvestissent des associations devenues apolitiques mais restées « tchéco-slovaques », malgré la séparation du pays en deux Etats nationaux, en 1993. Ces dernières années, des Tchèques et des Slovaques séjournent de nouveau en France pour des raisons universitaires et professionnelles, tendance confirmée par l’adhésion de la République tchèque et de la Slovaquie à l’Union européenne en mai 2004.