6Carte blanche à 13 artistes sur le Palais
Du vaste hall d’honneur jusqu’à l’aquarium tropical, en passant par l’intimiste salon Afrique, deux grandes salles d’exposition et le monumental Forum, c’est au total sept espaces qui accueillent les commandes faites aux artistes. Au fil de l’exposition, le récit se construit et révèle son principe : les œuvres sont nées d’échanges avec les usagers du Palais, du recueil de leurs histoires, de leurs souvenirs, de leurs rêves, de leurs émotions, parfois de leurs peurs. Ainsi se dessine en creux un portrait humain et physique d’une communauté et d’un lieu. NOUS.
Semblable à un être humain au destin singulier, le Palais de la Porte Dorée a connu, au cours de presque un siècle, une multitude de vies, et ceux qui le parcoururent en goûtèrent les fruits, parfois savoureux, parfois amers. Le vent de l’histoire a changé les noms ou les intentions, mais génération après génération, les artistes ou leurs travaux ont été réclamés pour symboliser les identités successives de cette institution, souvent transformée, selon l’évolution des consciences. C’est ainsi par eux que ce Palais s’extrait de l’histoire univoque qui l’a fait naître, et règle sa voilure aux vents nouveaux que l’aujourd’hui soulève.
Invité pour une exposition carte blanche, Jean de Loisy s’associe au commissaire Raphaël Giannesini, et propose à 13 artistes internationaux, d’origine et de génération très diverses, d’investir les espaces historiques du Palais et d’en sonder l’esprit à travers des créations in situ.
Les artistes invités s’emparent de ce lieu singulier aux existences multiples et, avec l’essentiel, c’est-à-dire les humains, ceux qui aujourd’hui y travaillent ou simplement le visitent, inventent des œuvres qui en activent les significations et la mémoire. Ainsi, les sculptures, dessins, films et installations réalisés pour cette exposition sont pour la plupart conçus avec la participation des usagers de ce Palais-Musée-Aquarium.
La série de commandes qui en résulte dessine un parcours d'art contemporain inédit, ponctué d'œuvres souvent monumentales et empreintes de spiritualité.
La mémoire donne à cette exposition son énergie et sa profonde signification. Toutes les œuvres qui la composent sont fondées sur un travail mémoriel qui relie à notre présent la culture des ancêtres, le souvenir des morts, comme de celles et ceux qui sont loin. Mémoire familiale des arrivants et de leurs tribulations, mémoire historique du Palais lui-même, mémoire des personnes qui y ont travaillé ou qui y travaillent encore, mémoire perdue de celles et ceux qui sont représentés dans son imposant décor, mémoire immédiate ou ancienne, mémoire politique ou affective des visiteurs, toutes ces mémoires ont été convoquées pour participer à la création de ce parcours.
Un objet éminent, ancien, puissant, riche de signification, installé en majesté par l’artiste Teresa Fernandez-Pello condense cet enjeu mémoriel et sa nécessité réparatrice. Il s’agit du grand To’o Mata des Îles Marquises prêté par le Muséum Emmanuel Liais de Cherbourg, dont la présence engage l’ensemble de l’exposition par sa force symbolique.
Objet rituel composé de cordelettes tressées, le To’o Mata est un aide-mémoire. Les nœuds successifs qui ponctuent chacune de ses tresses retiennent l’histoire de la tribu, ses filiations, les événements légendaires ou réels majeurs par lesquels s’est construite une culture commune. Il permettait au maître de cérémonie de ne pas se tromper lors de la récitation de la généalogie de la communauté, toute erreur pouvant être fatale au récitant car de mauvais augure. Cet instrument rituel de transmission paraît inextricable pour un profane égaré dans l’écheveau de connexions emmêlées, tout comme le sont les racines des sociétés complexes d’aujourd’hui.
Dans son livre Les Immémoriaux, Victor Segalen évoque la longue litanie par laquelle est énumérée l’histoire des familles d’une société du Pacifique. Dans son récit, l’officiant commet une erreur : il trébuche sur un nom, et cette erreur est ressentie par sa communauté comme le point de départ d’une dramatique fracture, comme si le « nous » était brisé par cette faute de mémoire. C’est le désir de nous préserver des conséquences d’une semblable faute qui est à l’origine des commandes réalisées pour ce parcours artistique inédit.
Du vaste hall d’honneur jusqu’à l’aquarium tropical, en passant par l’intimiste salon Afrique, deux grandes salles d’exposition et le monumental Forum, c’est au total sept espaces qui accueillent les commandes faites aux artistes. Au fil de l’exposition, le récit se construit et révèle son principe : les œuvres sont nées d’échanges avec les usagers du Palais, du recueil de leurs histoires, de leurs souvenirs, de leurs rêves, de leurs émotions, parfois de leurs peurs. Ainsi se dessine en creux un portrait humain et physique d’une communauté et d’un lieu. NOUS.
Commissariat
Jean de Loisy
Jean de Loisy est historien d'art et commissaire d'exposition indépendant. Il a été, entre autres, inspecteur à la Création au ministère de la Culture, conservateur à la Fondation Cartier et au Centre Georges Pompidou. Il a dirigé et co-dirigé divers lieux d’art en France, notamment le Palais de Tokyo de 2011 à 2017 et l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris de 2018 à 2022. De 2011 à 2022, il est producteur à France Culture des émissions Les Regardeurs puis L'Art est la matière.
Christine Piquéras
Architecte de formation, Christine Piquéras occupe depuis 2016 le poste de directrice du Bâtiment et de la Programmation culturelle et de conservatrice du Monument au sein du Palais de la Porte Dorée. Depuis 2018, elle met en œuvre L'Envers du décor, temps fort du Palais qui met en débat son passé et s'ouvre sur de nouveaux horizons artistiques. Elle a assuré le commissariat de l'exposition Les statues meurent aussi, sur les traces de l'histoire coloniale française de Falk Messerschmidt. Christine Piquéras a, au cours de son parcours, exercé en libéral et travaillé pour différentes institutions telles que le ministère de la Culture en tant architecte urbaniste de l’État.
Raphaël Giannésini
Diplômé de la Central Saint Martins à Londres, Raphaël Giannesini, commissaire d'exposition, a mis en place Explorers, un programme itinérant visant à instaurer un dialogue singulier entre la jeune création française et les scènes artistiques internationales. En collaboration avec diverses institutions et galeries parisiennes, il privilégie une approche transhistorique, où l'objet, chargé d’histoire et de mémoire plurielles, devient un point de rencontre entre différentes cultures, disciplines et usages.
Cécile Vermorel
Commençant son parcours d’accompagnement de projets artistiques au festival d’art contemporain Le Printemps de Septembre, Cécile Vermorel travaille ensuite aux côtés des chorégraphes et performeurs François Chaignaud et Cecilia Bengolea, puis d’Emmanuel Demarcy-Mota au Théâtre de la Ville. Comme déléguée générale du Ballet de l’Opéra national de Lyon, elle découvre le répertoire de la post-modern dance avec notamment Lucinda Childs et Merce Cunningham, qui ont entretenu des relations inextricables avec les autres champs artistiques, les arts visuels et la musique en premier lieu. Cette rencontre renforce son attachement à une libre circulation entre les formes de création contemporaine. Elle est actuellement cheffe du service de la programmation culturelle du Palais de la Porte Dorée.