7Les métiers des migrants italiens
Parmi tous les métiers exercés par les migrants italiens, certains sont restés dans l'imaginaire collectif comme symboliques de cette immigration.
Des figurinai aux mouleurs
La notoriété des figurinai - artisans ambulants fabriquant des statuettes en plâtre appelées figurine - se propage un peu partout en Europe à partir du XVIIIe siècle. Pour la plupart, originaires de la région de Lucques en Toscane, ils travaillent en groupes (compagnie), encadrés par un chef (capo) et entourés de plusieurs jeunes apprentis vendeurs, les garzoni.
Les figurinai, équipés de paniers remplis de reproductions bas de gamme de sculptures antiques et modernes, se déplacent de lieu en lieu, à la recherche de nouveaux clients. Vers la fin du XIXe siècle, l’activité connaît une évolution notoire. Les plus doués et audacieux abandonnent les paniers pour ouvrir leurs ateliers. C’est à ce moment-là qu’ils deviennent de véritables mouleurs, créateurs de modèles.
Les maçons
"L’avenir c’est pas un problème… ils seront maçons" écrit, dans Les Ritals, François Cavanna, fils d’un maçon italien de Nogent-sur-Marne, à propos des jeunes immigrés transalpins. En France, cette profession est devenue emblématique des Italiens en qui l’on voit volontiers les héritiers des bâtisseurs de la Rome antique ou de l’Italie de la Renaissance. Les maçons transalpins sont nombreux sur les chantiers, succédant à Paris aux maçons du Limousin. Les Italiens exercent en fait un nombre plus large de métiers plus ou moins qualifiés dans le bâtiment et les travaux publics, l’un des secteurs d’emploi privilégiés. Ils sont manœuvres, terrassiers, peintres, plâtriers, carreleurs, stucateurs ou encore mosaïstes. Pour beaucoup d’entre eux, à l’instar du père de François Cavanna, la réussite sociale passe par la création d’une petite entreprise. Ces Italiens ont construit routes, voies ferrées, ponts, barrages, villes ou encore maisons de France.
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Les entrepreneurs : les frères Ponticelli
À sa mort, en 2008 à 110 ans, Lazare Ponticelli entre dans l’histoire comme le "dernier des poilus". Il incarne aussi avec ses frères, Céleste et Bonfils, le symbole de l’une des grandes réussites entrepreneuriales au sein de l’immigration italienne en France. La famille Ponticelli, avec ses cinq enfants, est originaire de Bettola dans le Val de Nure en Emilie-Romagne. La mère d’abord, puis progressivement les enfants partent rejoindre la communauté de cette région installée à Nogent-sur-Marne. Quand la guerre se déclare, Céleste et Lazare s’engagent dans la légion étrangère au sein de l’unité composée d’Italiens et commandée par l’un des petits-fils de Giuseppe Garibaldi. À la dissolution de la légion garibaldienne alors que l’Italie entre en guerre aux côtés de la France, les deux frères sont enrôlés dans l’armée de leur pays d’origine. De retour en région parisienne, ils fondent une société de fumisterie appelée à un avenir prospère grâce à une grande capacité d’innovation notamment dans le secteur pétrolier.
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L'exposition Ciao Italia a été réalisée avec le soutien de l'entreprise Ponticelli Frères.
Les industriels : la société Simca
La marque à l’emblème d’hirondelle est un temps la quatrième entreprise automobile française avec une large gamme de voitures populaires et prestigieuses. Son fondateur, Enrico Teodoro Pigozzi, naît à Turin en 1898. Héritier d’une entreprise de transport qu’il vend après la Première Guerre mondiale, il s’installe à Paris pour y diriger une société d’import-export de métaux principalement destinés à la FIAT. À partir de 1926, il importe et commercialise en France les véhicules de la marque turinoise. Il travaille d’abord à l’assemblage de ces voitures arrivées d’Italie en pièces détachées au sein de la Société anonyme française des automobiles Fiat (SAFAF). Il crée ensuite, en 1934, la Société industrielle de mécanique et de carrosserie automobile (SIMCA) qui produit ses propres véhicules. Celui qui se fait désormais appeler Henri Théodore Pigozzi dirige l’entreprise jusqu’à ce quelle soit rachetée, en 1963, par la société américaine Chrysler. Il s’éteint à Paris en 1964.
Les artisans et les commerçants
La propriété d’un commerce est perçue par les immigrés italiens comme l’un des symboles d’intégration et de réussite sociale. Les parcours migratoires varient, mais tous bénéficient de la liberté de commerce instaurée dans l’Hexagone par la Révolution française. À partir des années 1920, la réglementation se durcit toutefois à l’égard des étrangers en réponse aux discours xénophobes sur le thème de la concurrence déloyale. Si la dimension ethnique ne détermine pas toujours le secteur d’activité des Italiens, les secteurs du vêtement et de l’alimentation les attirent. Nombreux sont les modistes, tailleurs, chapeliers et cordonniers dans les grandes villes. Ils tiennent aussi des épiceries, des cafés ou des restaurants dont la clientèle s’élargit au-delà de la communauté d’origine. Avec l’appui des chambres de commerce italiennes, ces commerçants participent à la diffusion de modes et de produits transalpins en France.
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"Gueules noires" et hommes du fer
Les secteurs minier et sidérurgique emploient une forte main-d’œuvre italienne. Dès la fin du XIXe siècle, des Italiens vont à la mine à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône ou à La Mure en Isère. Après la Première Guerre mondiale, ils sont nombreux dans le Nord et le Pas-de-Calais aux côtés des Polonais. "Gueules noires", ils sont aussi "gueules rouges" dans les mines de Bauxite du Var. On les retrouve nombreux également en Lorraine dans les mines de fer où ils trouvent aussi à s’employer à la fabrication de l’acier dans les bassins de Longwy, de Briey et de Villerupt notamment. Avant 1914, dans les entreprises du fer de Lorraine, les trois quarts des embauches concernent des Italiens. Le recrutement se poursuit et s’élargit ensuite aux Méridionaux. Au fond ou près des fourneaux, le travail est toujours pénible et dangereux.
Les agricultureurs
Les régions du Sud-Est de la France et des Alpes voient de longue date des travailleurs agricoles saisonniers franchir la frontière dans un mouvement constant de va-et-vient. Certaines activités sont structurées autour de filières spécialisées comme celles des bûcherons et des charbonniers originaires de la province de Bergame. La dégradation des conditions de vie en en Italie ainsi que le développement d’une agriculture plus commerciale dans des campagnes françaises en manque de main-d’œuvre, du fait de l’exode rural, entraîne une migration plus durable. Les zones d’implantation s’élargissent. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Italiens participent grandement au repeuplement rural et au renouveau de l’agriculture dans le Sud-Ouest. Le savoir-faire des Italiens y est reconnu dans l'acclimatation de variétés précoces de céréales (blé, maïs) ou de légumes, la maîtrise des techniques d'ensilage ou d'élevage laitier, la mécanisation dont quelques-uns ont été parmi les pionniers.
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Le travail des femmes
La figure du migrant italien est masculine. Les hommes ont certes toujours été plus nombreux que les femmes à émigrer, mais l’écart tend à se resserrer à la fin du XIXe siècle, sous l’effet à la fois d’une migration plus familiale et du développement de filières autonomes de migrations féminines. Au-delà de la "traite" de jeunes filles destinées à la prostitution, certains secteurs d’activité apprécient cette main-d’œuvre. Dans l’industrie textile d’abord, où l’emploi féminin domine, les Italiennes sont souvent majoritaires. Marseille fournit un cas intéressant de diversification de l’emploi féminin dépassant la figure traditionnelle de la portereis, débarquant les oranges sur le port. À Grasse, les Italiennes sont plus nombreuses que les Italiens à la fin du XIXe siècle, trouvant à s’employer dans l’industrie de la parfumerie. Elles occupent, par ailleurs, de nombreux emplois domestiques dans les quartiers bourgeois des villes françaises. La figure de la nourrice piémontaise devient même archétypale.
Le travail des enfants
À la fin du XIXe siècle, la législation française restreint et encadre le travail des enfants. Pourtant de jeunes Italiens occupent de petits métiers ambulants comme les vendeurs de statuettes ou les "petits cireurs napolitains", fréquemment évoqués à Marseille. D’autres trouvent à s’employer dans l’industrie, dans les soieries pour les jeunes filles ou dans les verreries de la région lyonnaise et parisienne pour de jeunes garçons dès l’âge de 11 ans. Leurs conditions de recrutement, de travail et de vie dans des garnis suscitent une vive émotion en Italie. 1 600 à 1700 enfants italiens travaillent dans les verreries selon le rapport du marquis Paulucci di Calboli. Le premier secrétaire de l’ambassade d’Italie à Paris, y dénonce le recrutement des jeunes gens arrachés à leur famille par des agents peu scrupuleux. L’action de l’État italien et des missionnaires catholiques met progressivement un terme à ces pratiques jugées scandaleuses.
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