Album : un regard au camp de Gurs
Dezsö Révai, dit Turaï, est né en 1903 à Budapest (Hongrie). Il est mort en 1996.
Les joueurs du camp de Gurs
Il faisait beau, ce jour-là, au camp de Gurs. Dans la chaleur de l’été 1939, un groupe de combattants, anciens des Brigades internationales, jouent. Réfugiés en France en février, désarmés à la frontière, enfermés à même les plages du Roussillon puis transférés à Gurs, ils attendent de connaître leur sort. Les uns espèrent recouvrer la liberté ; d’autres vivent dans l’épouvante d’être livrés aux autorités de leur pays.
Dans cette image en contre-plongée, la défaite demeure hors champ. Les corps redressés, tendus, empruntent aux codes de la modernité photographique. Géométrie parfaite, le ballon en astre solaire, la diagonale du filet et ses mailles serrées comme un grillage et, au-dessus, le joueur qui s’élance, libre. Il faut aller au-delà. Cette photographie ne figure pas seulement la lutte politique, à travers la métaphore du jeu. Elle en est également l’un des instruments. Dès l’Espagne, les communistes des Brigades internationales ont dû rendre des comptes aux dirigeants du Komintern. La photographie sert aussi à cela : rassurer le commandement, mettre en scène la discipline et la mobilisation des corps et des esprits. Les hommes alignés au second plan, chemises blanches et manches retroussées, semblent veiller.
Un homme se tient derrière l’objectif. Dezsö Révai, dit Turaï, Juif hongrois, militant communiste emprisonné dans son pays, s’est réfugié à Paris juste avant de rejoindre les Brigades internationales en 1936. Il va en devenir le photographe régulier, sinon officiel, dans la guerre, l’exil et les camps. À Gurs, il continue de photographier, à demi-clandestin, et consigne son travail dans des petits albums. La photographie des volleyeurs s’insère dans une bande contact collée sur la couverture d’un de ces carnets, rouge comme le drapeau. Libéré en 194, résistant en France, Turaï repartira définitivement en Hongrie à la fin de la guerre. Il continuera d’y faire de la photographie et du cinéma, dans les institutions officielles de la Hongrie communiste.
Retour sur ce que dit la photographie. En son centre, un homme à l’arrêt, torse nu et musculeux, lève les yeux. Laszlo Rajk est, comme Turaï, un communiste hongrois, ancien des Brigades et interné à Gurs (Voir Michel Lefebvre, Rémy Skoutelsky, Brigades internationales. Images retrouvées, Paris, Seuil, 2003, p. 187). Libéré en 1941, il obtient le droit de rentrer dans son pays. Résistant, membre de la direction du Parti communiste clandestin, il devient, en 1946, ministre de l’Intérieur du nouveau régime. Son pouvoir ne dure pas : en 1949, il est arrêté, victime des purges staliniennes d’après-guerre. Torturé, contraint à des « aveux » forcés, Laszlo Rajk est condamné à mort et pendu le 15 octobre.
Ainsi, de bout en bout, dans son esthétique et dans le destin de ses protagonistes, cette image dit le politique, bien au-delà du geste sportif. Parfois, en reprenant Charles Péguy, il faut savoir « voir ce que l’on voit » (Charles Péguy, Notre jeunesse, Paris, Folio, 1993).
Marianne Amar, cheffe du département de la recherche, Musée national de l’histoire de l’immigration
Texte issus du portfolio « Le sport en migration dans la collection du Musée », revue Hommes & Migrations, « Parcours sportifs », n° 1344, janvier-mars 2024. Accéder au sommaire du numéro
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Informations
Tirage gélatino-argentique noir et blanc issu d'un album en carton rouge manuscrit à l'encre noire
Album : 8,6 cm x 12,7 cm.
Photographie : 5 cm x 7 cm
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