Émigrés portugais à Hendaye
Jacques Pavlovsky est né à Saint-Jean-de-Luz en 1931. Il vit et travaille au Pays basque.
Que disent les visages ? C'est la question que je me suis toujours posée au cinéma. C’est le talent de certains réalisateurs de savoir cadrer, parfois au plus serré, un personnage, de telle manière à nous faire partir en voyage le temps d’un film. Je sais qu’il est possible de lire entre les lignes, de déchiffrer l’indicible, grâce à l’image. C’est la magie du cinéma, et de la photographie.
Que disent les visages sans larmes ? Combien de sanglots retenus, de remords ou d’angoisses non dites ? Ou, au contraire, faut-il y lire une puissance, une force, une détermination à aller de l’avant, vers l’inconnu, vers un pays où seul le mystère servira d’accueil.
Que disent les visages aux yeux secs ? Où sont passés les pleurs d’hier, l’ours en peluche a-t-il servi d’ami consolateur ? Ou, à l’inverse, s’agit-il de visages qui savent maîtriser les émotions et la joie comme autant de chevaux dont il faut contenir l’énergie ?
Un quai de gare est souvent synonyme d’excitation, d’impatience, de découverte. Dans une valise, on glisse ses effets et aussi tant d’espoir, de curiosité. Que disent les visages de ceux qui veulent oublier la douleur de l’exil, de ceux qui n’ont pas réussi comme ils le souhaitaient, de ceux que l’on n’a pas laissés entrer dans l’ascenseur social ? Ceux qui n’ont pas été accueillis, recueillis, avec le respect nécessaire. Bien souvent, un regard silencieux tient lieu de réponse aux affronts et aux déceptions.
Sur cette photo, je vois mille scenarii, mille histoires, vécues ou inventées. Mille films possibles.
Je repense à la célèbre chanson sur la valise en carton chantée par Linda de Souza qui a bercé mes jeunes années lorsque je regardais les émissions de variété à la télévision. On ne parlait pas encore de fabuleux destin mais cela y ressemblait. La valise en carton, symbole de l’immigration, et du petit monde que l’on emporte avec soi. Vers quelle aventure se dirige-t-on lorsque l’on quitte son pays ? La démarche énergique, le pas assuré, et un geste qui paraît ancestral, semblable à celui des paysannes africaines qui savent porter tant de kilos sur leur tête. En route vers l’aventure, et déjà on sait secrètement qu’il vaut mieux en montrer le moins possible sur son visage.
Isabelle Giordano, journaliste
Ce texte est issu du portfolio "Les femmes dans les collections du Musée" publié par la revue Hommes & Migrations dans son numéro "Femmes engagées" (n°1331, octobre-décembre 2020)
- Lire l'article : "Les clichés sur la migration féminine dans un patrimoine en négatifs", de Kidi Bebey et Marie Poinsot
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Des femmes en mouvements. Images et réalités des migrations féminines.
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