Famille d’immigrées portugaises dans un bidonville de la région parisienne
Gérald Bloncourt est né à Haïti en 1926. Il est mort à Paris en 2018
Le ciel est comme absent. On n’en aperçoit qu’une parcelle, un écran blanc, peu lumineux. Je l’imagine néanmoins suffisamment généreux pour laisser le linge sécher en toute quiétude et entourer délicatement ces personnes qui se tiennent debout dans la cour, devant leur demeure. Dansant de-ci de-là à l’appel de la brise, ces habits et ces draps sentent la fraîcheur, la propreté, ils défient le trou béant de la bassine qui semble accuser le piètre accès à l’eau. De même, l’élégant ajustement de la fillette en robe plissée et en chaussettes immaculées balaie la sensation d’abandon qui suinte de la maison en bidons.
La fillette est la seule à fixer l’objectif. Mais son regard fait étrangement écho à celui de la jeune fille (sa soeur ?) et de la jeune femme (sa mère ?) à ses côtés. Mêmes yeux, même regard, même interrogation, que l’on retrouve, de manière moins tranchante, dans le regard de la femme plus âgée. Les deux autres, en arrière-plan, ont les yeux baissés. De l’homme, le seul du groupe, on ne voit que le chapeau, l’un de ces chapeaux que portent les paysans portugais, tout comme le foulard de la femme plus âgée semble nous signifier son origine paysanne. Quels aiguillons ont bien pu les pousser vers ce bidonville où il n’y a ni arbres ni rivières ?
En regardant la jeune femme à la montre, bras et jambes croisées, preuve d’une fière volonté, je me dis qu’elle est peut-être, comme ces milliers de femmes invisibles dans l’histoire des migrations, à l’initiative de la grande aventure : fuir la guerre coloniale, la dictature ou la misère ; tourner le dos à tous ces maux qui s’accommodent si bien ensemble ; partir ailleurs dans l’espoir de construire une vie meilleure.
Je me dis aussi qu’il y a peut-être une septième personne, absente sur la photo, parce que présente sur un chantier : le fils des parents paysans, le mari de la jeune femme. Cependant, la montre à son poignet me confie que le temps périlleux de l’indigente précarité, c’est elle qui le gère sans jamais rien céder à la beauté de vivre. Quel chantier, gigantesque.
Chahla Chafiq, écrivaine et sociologue
Ce texte est issu du portfolio "Les femmes dans les collections du Musée" publié par la revue Hommes & Migrations dans son numéro "Femmes engagées" (n°1331, octobre-décembre 2020)
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