Fofana est immigré
Le 12 décembre 1970, 5 militants de la Gauche Prolétarienne (GP) sont arrêtés par la police qui trouve dans le coffre « des objets pouvant servir à la fabrication d’explosifs, une matraque, un poignard, des cagoules et deux paires de gants en caoutchouc ». L’un d’eux, Cheik Moussa Fofana, a 30 ans, est né en Guinée et est ouvrier.
À la GP, Fofana est un élément choc pour attirer les travailleurs immigrés. Délégué des résidents du foyer d’Ivry en grève fin 1969, il avait harangué les foules le 10 janvier 1970, lors de l’enterrement des cinq travailleurs africains morts asphyxiés dans leur taudis le soir du Réveillon. Après cette arrestation, Fofana est écroué à Fresnes pendant six mois. Là, il participe à la seconde grève de la faim des maoïstes emprisonnés. La GP est une des organisations « gauchistes » qui investit le plus les milieux immigrés. Certains militants immigrés trouvent dans leur caractère d’agitateurs un moyen de « bombarder l’opinion publique et les moyens de communication » (selon les mots des militants, dans Mogniss Abdallah, « Saïd Bouziri et Mohammed “Mokhtar” Bachiri. Deux figures de l’immigration au parcours contrasté », Hommes & Migrations, 1285, mai 2010) pour leurs luttes, alors que les étrangers sont tenus à la neutralité politique, et donc de se taire. Leur caractère agitateur mène à la dissolution de la GP par décret présidentiel de De Gaulle en mai 1970, alors que la loi sur « les nouvelles formes de délinquance », dite « loi anti-casseurs », est en préparation puis promulguée en juin. Conscient de cette menace avant sa dissolution, la GP veut rassembler des figures de la Résistance (Charles Tillon), des intellectuels (Jean-Paul Sartre, Marguerite Duras) et des chrétiens militants des luttes anti-coloniales (Jean Cardonnel). Fondé en juin 1970, le Secours rouge a pour objectif de mobiliser l’opinion publique autour de la multiplication des arrestations des militants et les entraves à la liberté d’expression. La Cause du Peuple, organe de la GP sous laquelle elle perdure après sa dissolution, est saisie plusieurs fois alors que ses directeurs de publication sont arrêtés avant que Sartre, intouchable du fait de sa notoriété, ne les remplace. La libération de Fofana, en juin 1970 devient l’enjeu de toutes les tensions. Un comité de soutien composé exclusivement de groupes immigrés est fondé, les autres groupes (Révolution !, GP) sont refusés. La GP organise une manifestation, finalement annulée, contre l’expulsion de Fofana. Le soupçonnant d’avoir été « retourné » par la police, la Nouvelle Résistance populaire, groupe violent issu de la GP, condamne à mort Fofana mais ne passe pas à l’action. Il est finalement expulsé par les autorités. L’affiche reste simple dans son graphisme et directe dans ses propos. Une photo de Fofana, soulignée d’une de ses citations, est ainsi encadrée : en titre, ce qu’il s’est passé ; en texte latéral, une analyse du contexte et des actions des militants. Les affiches de la GP sont souvent bleues, contrairement au rouge de celles des groupes « gauchistes ».
Romain Duplan, chercheur indépendant en histoire et co-fondateur de La Boîte à histoire
En savoir plus :
Immigrations, les luttes s'affichent : une sélection d'affiches issues des collections du Musée publié par la revue Hommes & Migrations dans le portfolio de son numéro "1973, l'année intense" (n°1330, juillet-septembre 2020)
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