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Photographie d'un groupe de réfugiés dont Alicia Bonnet-Krueger
Photographie d'un groupe de réfugiés dont Alicia Bonnet-Krueger accueilli dans un foyer à Fontenay-sous-Bois vers 1978. Collection du Musée national de l'histoire de l'immigration, Inv 2024.16.001
© EPPPD-MNHI

Fuir la dictature argentine

Le témoignage d'Alicia Bonet-Krueger recueilli en 2019

Alicia Bonet-Krueger

Alicia Bonet-Krueger arrive en France depuis l’Argentine en 1978, comme réfugiée politique. Avec sa famille, elle est accueillie à Fontenay-sous-Bois, hébergée dans un foyer tenu par les sœurs et prêtres franciscains dont un étage est mis à disposition des réfugiés, principalement chiliens mais aussi argentins, brésiliens et urugayens.

Militant contre la dictature, Rubén Pedro Bonet, le premier époux d’Alicia Bonet-Krueger, a été fusillé par les militaires au pouvoir lors du massacre de Trelew le 22 août 1972. Sous la présidence d’Eva Perón, comme la plupart des proches de ces fusillés, Alice Bonet-Krueger est contrainte à la clandestinité. Remariée, elle accouche en 1975, peu avant le coup d’état du 24 mars 1976, qui les décide à s’exiler. 
En 1977, ils fuient leur domicile pour l’aéroport, jusqu’à la frontière brésilienne où ils demandent l’asile politique auprès de l’UNHCR. Un titre de voyage de réfugiés leur est accordé le 16 juillet 1977 pour la France, où ils arrivent le 13 janvier 1978. Ils sont accueillis au foyer de Fontenay-sous-Bois avec autres refugiés qui arrivent de l'Argentine, de Chili, de Paraguay, d'Uruguay. Une fois installée de manière pérenne,Alicia Bonet-Krueger exerce comme éducatrice spécialisée. 

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A sa retraite, elle décide de demander justice pour les morts du massacre de Trelew. Elle dépose une plainte en 2006, qui sera rejointe par de plusieurs familles des fusillés. Son action aboutira en 2012 à la condamnation de cinq militaires directement impliqués pour des faits relevant de crimes contre l’humanité. 
Quand Alicia Bonet-Krueger entame sa démarche, elle identifie la nécessité d’informer les Français de l’histoire de l’exil argentin, nettement moins connu que celui des Chiliens. Elle crée ainsi fin 2005 le collectif argentin pour la mémoire, dont elle est la présidente. L’association entend porter la parole des Argentins exilés. 
Sa première action consiste à remercier les Français ayant dénoncé les faits en Argentine ou fait acte de solidarité, en leur attribuant une décoration spécifique « la médaille de l’amitié et de la solidarité ». 
Celle-ci est décernée lors d’une cérémonie à l'hôtel de ville de Paris, en présence du maire Bertrand Delanoë, en avril 2006.

"Mon mari était un des plus âgés, il avait 30 ans et nous avions 2 enfants, Hernán et Mariana de 7 et 6 ans. Ils l'ont amené dans une prison particulière, loin de tous les autres, c'était la prison de la marine argentine. Un jour, ils sont rentrés et ont tiré sur eux. Ils étaient dix-neuf, et il y en a trois qui ont survécu à leurs blessures. Les autres sont décédés, suite à la fusillade. Je suis immédiatement rentrée à Buenos Aires, et je suis allée dénoncer les faits auprès d’un juge d’instruction. Les familles des autres personnes tuées commençaient à disparaître, mais moi, j'ai continué, si bien que le juge a demandé l'autopsie de mon mari. Après, les trois survivants ont fait une déclaration devant le juge, j'étais présente en tant que partie civile. Il était très clair que c’était une fusillade qui les avait tués.
J'avais le nom et le prénom de tous ceux qui étaient les auteurs des faits. Avec tout ça, j'ai continué ma lutte. Cela s'est passé il y a 50 ans déjà, mais je ne l'ai jamais arrêtée, parce que les choses se sont déroulées de telle façon que, même aujourd'hui, toute la justice n’a pas encore été faite. Je l'ai dénoncé, aussi bien en Argentine qu'en France, je l'ai fait publier dans les journaux, je l'ai porté devant les députés d'Argentine. La première fois que l’Argentine m’a demandé de témoigner devant un juge, c'était en 2012, 40 ans après le début de ma lutte. J’y suis allée et là, ils ont été condamnés après ma déclaration et celle de tous les autres proches de Trelew qui étaient présents et qui m'avaient accompagnée. J'avais des photocopies, j'avais des livres, j'avais un matériel énorme. J'ai donné tout ça aux juges, et ils ont déclaré que c'était un crime contre l'humanité et que les auteurs devaient être en prison à perpétuité en Argentine.
En 2006, j’ai voulu faire une activité qui réunisse les Argentins. Avec Estela Belloni, nous avons fondé le Collectif argentin pour la mémoire, auquel se sont associés beaucoup d'Argentins qui ont trouvé que c'était très bien de continuer à récupérer l’histoire et à la raconter, pour la mémoire de tous ceux qui avaient été tués ou avaient disparu, et pour que cela ne se reproduise jamais."

Elisabeth JOLYS-SHIMELLS, conservatrice en chef du Patrimoine en charge de la collection Témoignages et société

Les parcours des donateurs font l’objet d’entretiens filmés accessibles en ligne. Retrouvez-les sur cette carte :

Informations

Type
Photographie
Date
2024
Matériaux

papier (procédé argentique noir et blanc)

Dimensions

H. 11,6 cm, l. 17,8 cm