LA NAGE
Vers minuit, on est entré dans l’eau. On a attendu que les guardias quittent leur chaloupe. J’ai vu aussi d’autres chaloupes, peut-être que c’était des pêcheurs… Je ne sais pas. Je voyais des petites lumières dans l’eau. J’ai vu aussi un gros bateau passer à côté de moi. Et il y avait des petits poissons, je ne sais pas quel poisson.
Dans l’eau, la bouée verte siffle. Ils font ça pour se rendre compte que des personnes sont en train d’entrer.
Quand tu tombes dans l’eau, tu dois aller comme ça, changer le rythme pour échapper à cette lumière verte qui sort de l’eau, petite. Nous, on était loin d’elle. A une certaine distance, ça ne siffle pas et on passe.
Un ami m’a donné l’argent pour acheter la vessie, la chambre à air. Je peux nager sans vessie, mais la distance est longue, 15 kilomètres. Avant d’entrer dans l’eau, j’ai emballé mes habits dans 30 à 40 plastiques pour que je puisse les porter quand je sors de l’eau. J’ai attaché ça sur mon ventre, j’ai mis la vessie et je suis entré dans l’eau.
Moi, je suis parti avec deux sacs. Un sac de vêtements et l’autre de repos, pour équilibrer le poids. Deux sacs noirs bien attachés, tu passes la ficelle ici et là, tu vois, parce que les petites vagues sont les pires, elles te tiennent. Tout le temps, les vagues te baffent, paf, paf, paf... Celles-là m’ont mis très mal, je devais échapper de là, je devais aller plus rapidement, aller plus vite, pum, pum, pum, plus vite pour échapper à ces vagues.
Les vagues viennent et me tapent, mais je supporte. Elles frappent en série de trois, ça vient, ça tape, ça vient, ça tape, ça vient, ça tape. Elles viennent comme le tourbillon. Elles frappent le caillou. Tu entends Pam ! Tu luttes contre les vagues. Elles te soulèvent, mais tu te bats avec tes pieds et tes mains. Il y a le vent, le vent qui vient, la fraîcheur, tu trembles.
Dès que tu changes de rythme, tu tombes un peu, les vagues descendent un peu, et tu te reposes, mais ces vagues là sont les pires, je ne les aime pas du tout. Quand il y a de l’air, tu te colles à l’eau, et ces petites vagues qui font ouf ouf ouf, c’est ça le mal que fait la mer.
Lorsque je suis sorti de l’eau, vers 4 heures 30, je me suis caché en bas de la montagne et j’ai dormi là-bas. Si tu me piques avec le couteau, je ne sens rien, je ne sens même plus mon corps. Il est congelé. Tu ne dois pas avoir peur de la mer. La nuit, il faut sortir directement, tête droite, il ne faut pas se retourner et c’est tout. Si Dieu le veut, on ne retournera pas à la frontière, c’est mieux ainsi. On ne peut plus reculer parce que la mer… La mer, toujours, fait peur.
Issa Abdoul, novembre 2008 et Moussa M., avril 2007, Melilla