La médaille de chevalier de l’Ordre des arts et des lettres d'Ora Adler pour l'œuvre de son père Emmanuel Lowenthal
Don d'Ora Adler
Le parcours d'Ora Adler et de ses parents
Emmanuel Lowenthal est né en 1896 à Lemberg en Autriche (actuelle Ukraine). Les frontières sont mouvantes et la ville devient biélorusse, polonaise, puis ukrainienne.
Ecouter Ora Adler parler de son père
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Emmanuel sert dans l’armée autrichienne comme officier. À l’issue du conflit, il part en Allemagne étudier la physique. À Berlin, il est l’élève du célèbre professeur Einstein. Puis il se consacre en autodidacte à la photographie. Sa femme, elle aussi originaire de Lemberg, le suit. De leur union naissent un garçon et une fille, Ora.
"Je qualifie de "paradis perdu" cette période du Berlin d’avant 1933. On le voit aux photographies que mon père prenait. D’ailleurs, il devait beaucoup y tenir, car je ne sais comment il a réussi à les faire venir en France, alors que nous sommes partis sans bagages, dans l’urgence, lorsque Hitler est arrivé au pouvoir. Mon père, d’origine juive et menacé par le Parti national- socialiste des travailleurs allemands (NSDAP), s’est vu destitué de son travail du jour au lendemain."
Nous n’avions pas d’autre choix que de partir. Je dois avouer que je ne me rappelle plus comment nous nous sommes organisés, mais ce dont je me souviens, c’est du passage de la frontière franco-allemande. Pour ne pas nous faire repérer, nous sommes passés clandestinement dans un corbillard. (…) Le paradis était perdu, l’enfer commençait. On a passé la frontière à Forbach, en Moselle. On soufflait, avant de gagner Paris pour que mon père puisse travailler. Mais nous étions arrivés clandestinement, et malgré une volonté de régularisation, la menace d’expulsion était constante, comme une épée de Damoclès sur notre famille".
L’expulsion signifiait un retour dans l’Allemagne nazie.
Malgré tout, de 1933 à 1936, Emmanuel exerce son métier de photographe de plateau de cinéma. Soutenu par son entourage, notamment par la célèbre photographe et future compagne de Pablo Picasso, Dora Maar, il n’est pas expulsé.
"Ensuite, on doit notre survie, peut-être, à Léon Blum, car nos papiers, obtenus en 1936 grâce au Front populaire, nous ont protégés".
Le répit est néanmoins de courte durée, car en 1939 la France déclare la guerre à l’Allemagne. Les étrangers, a fortiori les étrangers allemands, sont considérés comme les ressortissants d’un pays belligérant et sont donc menacés d’expulsion. Emmanuel est envoyé en camp de travail forcé. Mais, reconnu pour son talent de photographe de plateau, il est de nouveau soutenu, cette fois par la comédienne Michèle Morgan. Elle intervient en sa faveur, ce qui lui permet de rejoindre le tournage du film La Voix du Nord. Il ne peut cependant rester jusqu’à la fin de la réalisation, car avec la débâcle de l’armée française en juin 1940 commence la "drôle de guerre". Emmanuel est enfermé dans un camp. Après s’être évadé, il réussit à descendre jusque dans le Vercors et à s’engager dans la France libre. Auparavant, il avait pris soin d’envoyer sa famille dans le Sud, afin qu’elle ne soit pas inquiétée par la Milice ou la Gestapo. À la Libération, Emmanuel reprend son métier et photographie les classiques du cinéma français : en 1953, La Belle de Cadix de Raymond Bernard ; en 1955, Elena et les hommes de Jean Renoir, et en 1956, La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara. Il fixe sur le papier et dans la mémoire collective française le visage de nombreuses célébrités : Michèle Morgan, Jean Renoir, Ingrid Bergman…
La médaille
L’Ordre des arts et des lettres récompense celles et ceux qui ont contribué au rayonnement de la culture en France et dans le monde. La Cinémathèque française a reçu en 1998 le fonds de photographies d'Emmanuel Lowenthal. Pour sa donation, sa fille Ora reçoit la décoration de chevalier de l’Ordre des arts et des lettres, alors que la loi Pasqua (1995) l’oblige à apporter les preuves de sa nationalité française :
"D’un côté, la France reconnaît la contribution de ma famille immigrée au patrimoine national français. D’un autre, on remet en cause notre présence sur le territoire. J’ai pensé dans un premier temps retourner à son expéditeur cette médaille, mais je crois que la meilleure façon de rappeler la dette morale contractée par la France auprès de ses immigrés est d’en faire don au Musée de l’histoire de l’immigration".
En savoir plus :
- Dossier thématique : Les pionniers allemands (1820)
- Dossier thématique : Juifs d’Europe orientale et centrale
- Exposition : A chacun ses étrangers. France-Allemagne de 1871 à aujourd'hui
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