Le mortier des Rapetti
Don de Danielle Rapetti
La "madeleine de Proust" de Danielle Rapetti, c’est le goût du pesto que préparait sa grand-mère. "Ce pesto venu d’ailleurs, d’un pays que je ne connaissais pas, est intimement associé à l’histoire de ma famille".
L’histoire de Cesare Rapetti et de Maddalena Tiberti par leur petite-fille, Danielle Rapetti
"Chez elle, dans la Cité du Ranzay près de Nantes, ma grand-mère italienne, Maddalena, avait conservé dans une valise quelques "choses d’autrefois". C’était une valise qu’elle tenait de sa jeunesse, quand elle avait travaillé dans une fabrique de bagages, elle avait accompagné la famille dans son exode de l’Italie vers la France. Elle en était fière. Il y avait là de vieux papiers, quelques lettres qui venaient de loin – un frère en Argentine-, des pièces brodées et des photos".
C’est à partir de ces souvenirs que Maddalena raconte son histoire, et celle de sa famille, à sa petite-fille Danielle. Maddalena Tiberti épouse Cesare Rapetti en 1916. Tous deux originaires de Borgoratto, dans le Piémont, ils installent leur foyer à Gênes, où naît, en 1919, Luciano, le père de Danielle, puis Minie en 1925.
"Ces années-là demeurent dans la mémoire de ma grand-mère les plus heureuses. C’est aussi l’impression qui se dégage d’une photo prise sur la côté ligure, lieu de promenade pour un jeune couple endimanché, grâce au talent de Maddalena, excellente brodeuse et couturière".
En 1928, Cesare est recruté en tant qu’ajusteur pour le compte de la Compagnie générale de construction de locomotives Batignolles-Châtillon, filiale nantaise de la Société de Construction des Batignolles, fleuron de l’industrie française des chemins de fer à cette époque. Pour faire face aux besoins d’une production croissante, l’usine envoie des agents recruteurs à l’étranger. Dans une Italie gagnée par le fascisme, Cesare redoute l’embrigadement de son fils au sein des balillas, organisation de jeunesse du régime de Mussolini. Comme nombre de ses compatriotes, il saisit donc l’opportunité de s’expatrier et, après une période d’essai concluante, est rejoint par sa famille. Cesare, Maddalena et leurs enfants s’installent ainsi en 1929 dans la cité ouvrière du Ranzay, qui accueille alors près de 2 000 résidents aux portes de Nantes.
"Cesare côtoie, à l’usine, parmi tant d’autres, Vincenzo, le forgeron, un Italien comme lui, Costa, le Yougoslave, Otto, l’Autrichien, Kurth, l’Allemand, Frantizech, le Tchèque, Valerian, le Polonais, Yvan, le Russe, Joseph, le Hongrois, tous ajusteurs. […] A Nantes, la vie n’est pas facile tous les jours dans les cités. Ma grand-mère, à certaines périodes, doit travailler à la cantine de l’usine ou bien confectionner à domicile des chemises pour l’armée, afin d’améliorer l’ordinaire".
Cesare et sa famille sont naturalisés français en 1940. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Lucien, le père de Danielle, ne parvient pas à échapper au Service du travail Obligatoire en Allemagne, quelques mois après son mariage avec Madeleine Lanterne, une jeune Nantaise. Utilisé, ainsi que les autres ouvriers du STO, comme bouclier humain par les Allemands dans les derniers mois du conflit, il meurt d’un tir d’artillerie russe en mars 1945. Cesare s’éteint, lui, en 1947. Les femmes poursuivent leur existence aux Ranzay, où Maddalena cultive avec plaisir son jardin. Dans un petit pot s’épanouit un pied de basilic à petites feuilles, délicat et odorant, le meilleur basilic pour cuisiner le pesto alla genovese, longtemps pilé et malaxé avec l’huile d’olive, ail et parmesan, dans ce beau mortier qui, lui aussi, fut du premier voyage.
"Maddalena veille avec amour sur cette petite plante, bien fragile en climat nantais. Un lien subtil avec le pays natal[…]. Pour moi,l’écho singulier des attaches familiales,c’est le goût du basilic et des pâtes fraîches savourées le dimanche chez ma grand-mère au Ranzay. Le goût du pesto alla genovese…"
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