Le Perthus, à la frontière franco-espagnole
David Seymour est né à Varsovie en 1911. Il est mort à Suez en 1956.
Que regardent-elles, ces femmes à la frontière franco-espagnole ?
Que regardent-ils, les réfugiés qui fuient ? Regardent-ils derrière eux, tentant une dernière fois de fixer dans leur tête ce qui reste d’un passé souvent réduit en miettes ? Ou regardent-ils devant eux, guettant les premières images du pays dans lequel, ils veulent le croire, ils recommenceront tout ? Cela raconte tant de choses, ces regards dans les trains, dans les bateaux, dans les camps de transit. Dans la photo de David Seymour, les femmes réfugiées espagnoles, dans un train, penchées par la fenêtre (enfin je crois), ne regardent pas vraiment le photographe, non, elles regardent quelqu’un d’autre, quelque chose d’autre. Le poste frontière, peut être ? Elles sont inquiètes, tendues, je ne les imagine pas dire au revoir à ceux qu’elles aiment sur le quai. J’ai l’impression qu’elles sont à ce moment du voyage où, ça y est, on a déjà fait ses adieux au passé, on ne regarde plus en arrière, mais en avant, et ce qui domine, c’est l’inquiétude : est-ce que ça va bien se passer ? Et leurs regards me font penser à cette autre scène, ces autres trains.
C’était à l’automne 2015, j’étais à Budapest. C’était au moment de ce qu’on a appelé « la crise des migrants ». Les réfugiés, je les avais croisés plus tôt dans leur périple, en Grèce, après la traversée en mer. Ils s’apprêtaient tous à prendre la route des Balkans. Arriver à Budapest, c’était déjà un sacré périple. Les voilà pourtant. La Hongrie est en train de construire un mur, au Sud, pour les refouler, mais ceux qui sont parvenus à Budapest se disent, quand même, l’Europe, on y est, ils ne savent pas qu’avant 1989, il y avait encore un mur qui séparait la Hongrie de l’Autriche, l’Est et l’Ouest. Ce mur-là, il était tombé avec celui de Berlin. Dans cette gare de Budapest, les réfugiés voudraient tant se dire que le périple est presque fini, mais en 2015, on a reconstruit les murs, et même si celui entre la Hongrie et l’Autriche n’existe plus, on ne passe pas : les trains ont cessé de rouler. Alors les réfugiés restent bloqués là, à la gare, dans le train. Les policiers crient en hongrois, ils ne comprennent pas. Et dans les trains fermés, les mères attendent, le regard inquiet, désespéré.
Doan Bui, écrivaine et journaliste à L’Obs
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Ce texte est issu du portfolio "Les femmes dans les collections du Musée" publié par la revue Hommes & Migrations dans son numéro "Femmes engagées" (n°1331, octobre-décembre 2020)
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Collection : La Retirada. Le Perthus, à la frontière franco-espagnole
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