Le studio photographique Rex
Situé dans le quartier populaire de Belsunce à Marseille, le Studio Rex voit défiler sous son objectif, de 1933 à sa fermeture, une clientèle majoritairement immigrée, originaire d’Afrique du Nord et de l’Ouest.
Le Studio Rex est fondé par Assadour Keussayan. Né en 1907 à Kharpout, l’une des villes turques les plus touchées par le génocide arménien, Assadour Keussayan fuit avec son frère et arrive en France au début des années 1920. Il s’installe à Marseille où il rencontre sa femme, arménienne elle aussi. Assadour Keussayan est recruté par le photographe Gustave Ouvière, qui possède un studio photo situé 5 rue de la Darse, chez qui il se forme à la photographie entre 1928 et 1932. Vers 1933, il ouvre son propre studio photo dans un appartement situé au 11 place Jules Guesde, qu’il déménagera ensuite place d’Aix. Il forme Germaine, sa fille, à la retouche des photographies, et son fils, Grégoire, qui les rejoint à partir de 1966. Grégoire réalise les prises de vue, les tirages et les retouches des montages rehaussés au pastel, activité qu’il exerça au sein du Studio Rex jusqu’à se fermeture dans les années 2000. L’histoire de l’entreprise familiale qu’est le Studio Rex, fait écho à une tradition photographique ancienne chez les arméniens qui, dès le 19ème siècle, possèdent des studios photographiques dans la plupart des villes de l’Empire Ottoman.
La particularité du Studio Rex, situé dans le quartier populaire de Belsunce à Marseille, tient au fait qu’il reçoit une clientèle majoritairement immigrée. Le Studio est en effet situé dans une zone stratégique, entre la gare Saint Charles et le port. Le quartier de Belsunce est caractérisé par ses commerces, qui attirent dès les années 1930 une forte population immigrée, essentiellement originaire d’Afrique du Nord et de l’Ouest.
L’activité principale du studio se concentre sur la production de portraits d’identité à des fins administratives. En deuxième lieu, ce sont les portraits en pied qui sont le plus demandés. Parmi ces portraits, de nombreuses prises de vues qui mettent en scène des familles : couples côte à côte, parents entourés de leurs enfants, mère tenant le dernier né dans ses bras, ou encore membres d’une même fratrie.
A côté de ces portraits de famille, le studio produit un grand nombre de clichés dans lesquels des hommes posent seuls. Si la famille n’apparait pas dans le cadre, elle n’est pas pour autant absente. Hors champ, c’est bien la famille, qui motive la prise de vue. Ces portraits en pied, posés dans un décor constitué de quelques objets décoratifs, une grille, un vase empli d’un faux bouquet, était en très grande partie destinés à être envoyé à la famille restée au pays d’origine. Les Keussayan, propriétaires du studio photo proposaient à leurs clients, comme geste commercial, d’envoyer la photographie, une fois tirée, à leur famille restée à l’étranger. Comme trace de cette pratique, on retrouve sur certains négatifs l’inscription « envoyé », écrit en français ou en arménien. Ainsi envoyée, la photographie constitue ainsi un lien matériel entre les membres d’une famille séparés par la distance.
Le Studio Rex produit également des photographies qui enregistrent les grandes étapes de la vie, comme des photographies de mariage. A la demande, le Studio Rex produisait des montages : ils utilisaient des photographies de mariages fastueux, probablement de familles arméniennes, qui servaient de modèle pour des couples moins aisés désireux d’apparaitre dans un mariage « en blanc », souhaitant se glisser dans le cadre et les normes de la société française. Dans ces montages, identifiables, les visages étaient détourés et remplacés par ceux des nouveaux clients, le raccord au niveau du cou masqué par de la gouache blanche ou le dessin d’un collier de perle.
Le studio Rex produisait un autre type de montage, très apprécié, des tirages sur papier baryté, rehaussés au pastel, qui permettait de réunir les membres d’une famille séparés par la distance et les frontières. Les Keussayan tiraient sur le même papier les portraits photographiques disparates apportés par le client. Les clients pouvaient apporter jusqu’à 6 photos différentes, que les Keussayan réunissaient sur un même tirage, au fond coloré, les visages auréolés d’un halo coloré.
La production photographique du Studio Rex nous plonge parmi une multitude des visages d’hommes et de femmes, aujourd’hui devenus anonymes, et dans l’intimité de ces familles dont l’histoire et les mémoires sont marqués par l’expérience migratoire.
Emilie Gandon, conservatrice du patrimoine en charge de la collection histoire
Informations
bois, verre, métal
bois et lentille en verre cerclée de métal
l. 10,5 cm, L. 12,5 cm (fermé)
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