Logement de Harkis
Martine Franck est née à Anvers en 1938. Elle est morte à Paris en 2012
Enfermées dedans, et exclues du dehors
Ils sont eux aussi des rapatriés. Ceux dont ni la France, ni l’Algérie ne voulaient plus. Engagés pour la France, convaincus que « l’Algérie de Dunkerque à Tamanrasset » était leur passeport pour la sécurité, pour leur survie, la trahison fut double… Des Algériens supplétifs de l’armée française, engagés contre leurs frères de sang, frères d’armes des appelés français, des bourreaux, des colons. Des Harkis abandonnés en Algérie après la libération, lâchés à la vindicte de leurs voisins, de leurs cousins, malgré la promesse du Front de libération nationale algérien, figée pourtant dans le marbre des accords d’Évian. Après l’indépendance, les appels aux massacres se multiplient. Torturés, ébouillantés, crucifiés, écartelés… Hommes, femmes, enfants, familles entières… À ce jour, aucun bilan précis n’existe. Entre 10 000 et 150 000 auraient trouvé la mort. Un rapport de un à quinze. Mais à quoi bon compter quand vous ne comptez plus ? De l’autre côté de la Méditerranée, Pierre Messmer, alors ministre des Armées, tente d’empêcher tout rapatriement. Pourtant, ils seront des dizaines de milliers à gagner la France.
Rivesaltes, la Rye, Saint-Maurice-l’Ardoise et Bias, les camps de transit et de reclassement des Harkis sont loin d’être cet espace de sécurité, cette terre d’accueil si longtemps promise. Froid, boue, faim, insalubrité, promiscuité, déracinement et désespoir… Tout n’est que relégation et invisibilisation. Spatiale. Sociale. Certaines familles sont dispersées d’un camp à l’autre. Enfermées dedans, et exclues du dehors… Il n’y a aucune place. Dans le camp. Hors du camp. En France. En Algérie. Nulle part. C’est au mitan des années 1970 que ces camps finiront par être fermés et leurs habitants relogés. Mais les blessures restent, se transmettent, dans une mémoire traumatique transgénérationnelle. Ce sont aujourd’hui leurs enfants et petits-enfants qui réclament justice. La France a une dette d’honneur : avoir abandonné des frères d’armes.
Nora Hamadi, journaliste à ARTE
Ce texte est issu du portfolio "Les femmes dans les collections du Musée" publié par la revue Hommes & Migrations dans son numéro "Femmes engagées" (n°1331, octobre-décembre 2020)
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