Meeting Antifasciste Cartoucherie de Vincennes
Surmonté d’un slogan, « À bas la campagne raciste ! Vivent les luttes des immigrés ! À bas les bandes armées du Capital », l’affiche cite l’un des motifs les plus emblématiques de Mai 68, le CRS brandissant sa matraque, abrité derrière un bouclier, ici légendé « Cartoucherie de Vincennes ». Elle convie à un meeting unitaire le « jeudi 28 » 1973 convoqué à l’initiative de la Ligue communiste (LC). Interdite et réprimée, elle s’inscrit dans la séquence ouverte le 21 juin par la manifestation contre le meeting d’Ordre nouveau à la Mutualité, prétexte à la dissolution des deux mouvements par le gouvernement le 28 juin. L’affiche résonne avec ce contexte également de la campagne raciste, de la lutte des immigrés contre les effets des circulaires Marcellin-Fontanet (1972) et les incidents racistes qui en découlent, sur lesquels Ordre nouveau entendait faire son miel. Le motif des « bandes armées du Capital » dénote d’ailleurs cette organisation fasciste. Par capillarité, la politique répressive du ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin s’y associe implicitement. Lequel interdit le meeting du 28 à la Cartoucherie, massivement réprimé, marqué par l’arrestation de nombreux adolescents dont le ministre devra s’expliquer au Sénat en août 1973. Tel serait le contenu discursif de l’affiche.
Graphiquement, elle ressort du « Trait 68 », forgé dans les ateliers populaires des Beaux-Arts et des Arts-Déco en Mai 68. Issu de l’Atelier populaire des Beaux-Arts, le motif du CRS casqué, anonyme en Mai 68, est l’oeuvre de Jacques Carelman. L’affiche reprend le motif original, sur lequel ne figurait pas le slogan « CRS-SS » qui lui sera rapidement apposé. La simplicité de la technique sérigraphique permet une production rapide et peu onéreuse de ces affiches. L’affiche du 28 juin s’inscrit dans cette lignée, soulignant la dissémination du trait 68 par l’engagement politique des graphistes. Si le bleu remplace ici le rouge, plus souvent employé par les affiches de la LC, le message de la lutte contre la répression que symbolise le CRS au bouclier vaut aimant unitaire d’une cause antifasciste où toutes les bigarrures de l’extrême gauche peuvent se reconnaître. Mai 68 fournit un répertoire iconique aux luttes de l’après-mai. Le motif du CRS souligne autant la matrice des luttes que l’unité de toute l’extrême gauche devant la répression. De manière subliminale, l’antienne « CRS-SS » résonne, adéquate aux affrontements du 21 juin. La Cartoucherie renchérit le constat. Investi par cinq collectifs de théâtre, le lieu irrigue l’ensemble des luttes de l’entre-deux-mai, du féminisme à la cause révolutionnaire, via notamment le théâtre. La proximité de l’université de Vincennes, refuge de la contestation gauchiste, aiguise ce constat. La mémoire de ce meeting interdit s’est effacée, recouverte par le souvenir des affrontements du 21 juin précédent, victoire emblématique de la LC contre (Ordre nouveau) la répression policière.
Vincent Chambarlhac, maître de conférences HDR en histoire contemporaine, université de Bourgogne
En savoir plus :
Immigrations, les luttes s'affichent : une sélection d'affiches issues des collections du Musée publié par la revue Hommes & Migrations dans le portfolio de son numéro "1973, l'année intense" (n°1330, juillet-septembre 2020)
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