Semaine de deuil et d’action
L'affiche présentée ici date de décembre 1972. Sur un fond blanc, un texte écrit en bleu y invite à une « semaine de deuil et d’action », avec comme point d’orgue une « marche anti-raciste » organisée à Paris le 16 décembre. Et ce suite à la mort de Mohamed Diab, « assassiné le 29 novembre », dont la photo en dégradé de bleu est présente au centre de l’affiche.
L’ensemble du texte, écrit en français sur la partie gauche de l’affiche, est également traduit en arabe sur le côté droit. On note toutefois que, dans la version arabe, il n’est pas précisé que la marche est « anti-raciste ». Cela est peut-être dû à un manque de place. Enfin, l’affiche est signée par la famille Diab et le Comité de défense des droits et de la vie des travailleurs immigrés (CDDVTI). Mohamed Diab est un chauffeur-livreur algérien de 32 ans, père de quatre enfants, atteint de troubles mentaux, mais en rémission, et vivant dans la cité du Grand-Chêne à Versailles. Le 29 novembre 1972, il est interpellé par la police dans l’hôpital de sa ville car il refuse de quitter la chambre de sa mère malade. Au commissariat, après avoir été insulté et frappé, il se bat avec une chaise contre les agents de police. Il est tué par un sous-brigadier qui lui tire dessus à trois reprises, malgré le fait qu’il se soit calmé et les cris des autres policiers lui demandant de ne pas tirer. Cette affaire est rapidement prise en main par des militants proches du Mouvements des travailleurs arabes (MTA) et de la Gauche prolétarienne (GP) dont une partie a déjà participé en 1971 au Comité Djellali (formé à la suite de l’assassinat d’un adolescent d’origine algérienne par un concierge à Barbès). À l’occasion de leur mobilisation autour du cas de Mohamed Diab, ces militants déjà expérimentés créent le CDDVTI qui signe donc l’affiche dont il est ici question.
Ce comité organise une contre-enquête en recueillant les témoignages de personnes qui ont assisté aux événements ayant abouti à la mort de Mohamed Diab. Sur cette base, il conclut à un crime raciste et contredit la thèse de l’homicide commis en état de légitime défense par la police. Le comité se lance alors dans un travail juridique en lien avec l’avocat de la famille de Mohamed Diab et organise des « collectes » pour soutenir cette dernière, comme indiqué sur l’affiche. Surtout, le CDDVTI lance une campagne afin de diffuser les conclusions de son enquête auprès de la presse qui avait jusque-là uniquement repris la version de la police. Comme le fait le MTA, le comité tente aussi de mobiliser l’immigration maghrébine dans les « usines » et les « cafés » évoqués par l’affiche. Pour rassembler au-delà de ce cercle, le comité lance également un appel signé par 137 personnalités, parmi lesquelles Michel Foucault, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Simone Signoret, Yves Montand ou encore Mouloudji, qui tous invitent à participer à la marche antiraciste du 16 décembre annoncée par l’affiche.
Cette manifestation – interdite entre-temps par la préfecture – a bien lieu à la date prévue. Les manifestants se retrouvent devant le métro Bonne-Nouvelle et le cinéma le Grand Rex à Paris. Après différentes prises de parole, ils se rendent à Barbès et ensuite à place Clichy. La manifestation est toutefois violemment réprimée par la police qui interpelle des dizaines de travailleurs immigrés, ainsi que plusieurs intellectuels comme Michel Foucault et François Mauriac. Après sept ans et demi de mobilisation et de procédure judiciaire, l’affaire aboutit à un non-lieu pour le policier qui a tiré sur Mohamed Diab.
Karim Taharount, chercheur associé au Centre d’histoire sociale, université Paris-I
Bibliographie :
- Mohsen Dridi, L’immigration de A à Z, Paris, éd. FTCR, 2007, p. 129.
- Abdellali Hajjat, Éléments pour une sociologie historique du Mouvement des travailleurs arabes (1970-1976), Mémoire de DEA de sciences sociales, Paris, EHESS/ENS, 2005, pp. 60-61.
- « Vérité et justice pour Mohamed Diab », in Communisme, n° 3, mars-novembre 1973.
- René Backman, « Prise de sang à Versailles », in Le Nouvel Observateur, 11 décembre 1972. « Mohamed Diab - Pourquoi ? », in Droit et Liberté, n° 317, janvier 1973. « Le policier qui avait tué H. Mohamed Diab bénéficie d’un non-lieu », in Le Monde, 30 mai 1980.
En savoir plus :
Immigrations, les luttes s'affichent : une sélection d'affiches issues des collections du Musée publié par la revue Hommes & Migrations dans le portfolio de son numéro "1973, l'année intense" (n°1330, juillet-septembre 2020)
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