Image
Affiche travailleurs tous unis
Travailleurs français, immigrés tous unis. À travail égal, salaire égal, Atelier populaire de l’École des Beaux-Arts, Mai 1968, Offset couleur, 78,5 cm x 63 cm, Musée national de l’histoire de l’immigration, Inv. 2006-138-1

Travailleurs français, immigrés tous unis. À travail égal, salaire égal

Mai 1968 - Offset couleur - 78,5 cm x 63 cm - Inv. 2006-138-1

Cette affiche sérigraphiée sur papier blanc en différentes couleurs (vert, rouge, bleu) fut réalisée, semble-t-il, le 22 mai 1968, soit une semaine après la création de l’Atelier populaire de l’École des Beaux- Arts. À la différence de sa jumelle, qui reprend le premier slogan mais qui est illustrée – figurant trois personnages : deux travailleurs se tenant par le bras en signe d’union (l’un blanc, l’autre noir) surplombant un patron –, cette affiche est uniquement textuelle. Toutes deux déclinent le maître mot en cette mi-mai, "Union", symbolisé par la première affiche UUU (Union Usine Université).

Il ne s’agit pourtant pas, comme dans d’autres productions de cette première période de l’atelier, d’imprimer un texte, mais de donner ici à lire un slogan, "À travail égal, salaire égal", en plusieurs langues : en français, portugais, espagnol, italien, grec, serbo-croate et arabe. Ces langues peuvent surprendre en 2020 mais l’affiche s’adresse aux travailleurs concernés, qui sont alors majoritairement issus de l’Europe du Sud et du Maghreb. La singularité de cette affiche est ce multilinguisme que l’on ne retrouve dans aucune autre affiche de l’Atelier populaire – dès 1969, la Gauche prolétarienne produira des affiches bilingues français-arabes.

Cette affiche éclaire par ailleurs un fait souvent minoré des événements de mai-juin 1968 : la place des travailleurs immigrés dans le mouvement social. Pourtant, comme Yvan Gastaut l’a montré dans un article récent (Yvan Gastaud, « Quand Mai 1968 rencontre l’immigration : un moment de l’opinion française », Hommes & Migrations,n° 1321, 2018), à la suite des travaux de Xavier Vigna et de Michelle Zancarini-Fournel (Xavier Vigna, L’insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, PUR, 2007 ; Histoire des ouvriers en France au xxe siècle, Perrin, 2012 ; Michelle Zancarini-Fournel, Philippe Artières (dir.), 68, une histoire collective (1962-1981), La Découverte, 2008 ; Michelle Zancarini-Fournel, Le moment 68 : une histoire contestée, Le Seuil, 2008.), la mobilisation d’ouvriers étrangers dans les grèves et les occupations est importante sur la base de valeurs internationalistes ("Tous unis" reprenant "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous"). Selon l’historien, le malentendu initial – le seul combat possible des immigrés ne devait-il pas être mené dans leur pays contre le néo-colonialisme ? – fait place à une structuration réelle avec la création d’un Comité d’action des travailleurs étrangers (Cate ou Comité des étrangers), fondé à l’université de Censier le 14 mai 1968. L’affiche reprend le principe du tract dénonçant le système capitaliste rédigé en quatre langues (italien, espagnol, portugais, arabe) diffusé le 18 mai. Ce tract appelle les travailleurs immigrés à rejoindre le mouvement. L’affiche, quant à elle, témoigne également d’une autre orientation, celle d’un front spécifique des travailleurs immigrés. C’est cette ligne que suit un Comité du droit des étrangers qui dénonce auprès de l’opinion les silences et les mensonges des médias et fait connaître la surexploitation des immigrés. Selon Yvan Gastaut, ce furent d’abord les travailleurs portugais, le 16 mai, qui s’organisent par nationalité pour rejoindre le mouvement, suivis des Grecs et des Maghrébins. À Paris, les Marocains tiennent une assemblée générale chaque soir entre le 17 et le 25 mai avec la mise en place de commissions et d’interprètes pour favoriser l’action dans les usines.

Cette affiche est ainsi une archive d’un double événement, celui de la mobilisation des travailleurs étrangers dans la contestation en mai-juin 1968, mais aussi, celui de sa visibilité au sein des étudiants des Beaux-Arts, dont certains sont étrangers, mais venus soit d’Europe du Nord, soit d’Amérique latine. Les travailleurs immigrés s’affichent aux Beaux-Arts et dans la rue.

Philippe Artières, historien, directeur de recherche CNRS, membre de l’Iris-EHESS

En savoir plus :

 Immigrations, les luttes s'affichent : une sélection d'affiches issues des collections du Musée publié par la revue Hommes & Migrations dans le portfolio de son numéro "1973, l'année intense" (n°1330, juillet-septembre 2020)

Informations

Inventaire
2006.138.1
Type
Affiche
Date
Non renseignée
Auteur
Atelier populaire de l’École des Beaux-Arts