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Du côté de chez moi

Voici un énième témoignage d’une jeune femme sur son enfance et l’histoire de son émancipation. La famille est algérienne. Le théâtre des opérations a pour cadre le Val-Fourré à Mantes la Jolie. Le père est infirmier le jour et travaille dans une maison de retraite la nuit. La mère, sourcilleuse, gère sa maisonnée en directrice de conscience. La fratrie compte deux frères et six sœurs, très différentes les unes des autres, dont la narratrice, le tout logé dans deux chambres. 

Du côté de chez moi est bien entendu un clin d’œil à Proust et laisse subodorer que cette dernière est l’intello de la famille. Les livres lui permettent de "détruire les murs", de " "s’ouvrir à un monde différent grâce à la culture". Mais comme la jeune fille préfère ses lectures à l’école, résultat, l’intello ne brille pas par ses résultats scolaires.
Il n’y a rien de vraiment nouveau ici sous le ciel de l’immigration. Salima Senini dessine à grands traits le tableau des us et coutumes d’une famille algérienne de la fin de la décennie 70 et de la suivante. Il est question de bain, de l’art de se tenir à table (ici on mange encore avec trois doigts et autour d’un plat commun!), du célébrissime mouton de l’aïd et de sa baignoire, des vacances au bled, le tout nimbé dans un halo de croyances peuplées de djennouns, de démons, d’anges. L’intimité n’a qu’à se plier au rigueur d’un espace réduit et l’individu aux exigences du groupe. Petite note personnelle : sur l’incontournable hammam, pas de regard exotique ici, mais des propos cruels empreints sans doute d’une bonne dose de réalisme. Bien sûr, le lecteur aura droit au couplet sur le mariage, à la description de la cérémonie suivie de la nuit de noces, sans oublier les maternelles mises en gardes contre le sexe et cette croyance – que traduisent bien des voiles qui essaiment – que "le mâle représente le mal".
Les paraboles orientent toute une population du côté de l’orient et les transforment en de "vrais immigrés" : "A nous l’enfermement oriental télévisuel ! Depuis, les paraboles ornent toutes les façades du Val-Fourré, telles de grandes couscoussières d’extraterrestres. Grâce à cela, on peut dénombrer les Arabes dans un immeuble, car les Africains n’en sont pas très amateurs ? Qui sait si la parabole n’est pas, en fait, qu’un attrape-Arabe ?" L’islam est "banlieusard" autrement dit nimbé d’effluves wahhabites et, "au bout du compte effrayant". Rien à voir avec celui, traditionnel et culturel des parents. Dixit une narratrice croyante et qui trouve la paix dans la religion. "Les gens doivent penser que croire en Allah et vivre à la française n’est pas compatible ! Et pourtant, j’en suis la preuve vivante et nous sommes nombreux dans ce cas".

Quid alors de la personnalité des membres de cette famille ? Le plus surprenant tient sans doute au fait que le père, malgré sa qualification, se montre d’un traditionalisme sourcilleux. "Plus que la peur, ils ressentent une véritable terreur à l’idée que la vie de leurs enfants bascule dans le modèle occidental qui leur échappe". " Alors ils se créent un mini-bled en France !" Et comme le Val Fourré "devient peu à peu une zone non française", il est aisé pour cet homme "autoritaire" de "nous mettre en garde contre l’influence de la culture française trop libre ». Pire : il n’encourage nullement sa fille à progresser sur le chemin des études et de la connaissance. Les livres sont même assimilés au démon. Un ou deux finira dans la poubelle, jetés par une mère soucieuse de l’intégrité physique (ah… le thème de la virginité) et mentale de sa fille. "C’est de pire en pire, tu lis trop de livres qui te retournent le cerveau ! Une fille de ton âge ! C’est pour qu’elle se dénude plus vitre et fasse la pute ! C’est tout !" dixit maman. C’est dire si ce témoignage renferme quelques passages déroutants. Le moindre n’est pas celui qui pousse la narratrice à conserver sa nationalité algérienne, à se taper une fois tous les dix ans la queue et les rebuffades en Préfecture et cela pour le seul plaisir de côtoyer quelques vieilles algériennes bavardes ou d’en remontrer à la fonctionnaire derrière son guichet en lui infligeant sa maitrise de la langue de Molière.
Reste le plus intéressant : "au fond, le sentiment de mon identité m’a poussée à rester algérienne. (…) [notamment] parce que je me sens autant algérienne que française et que, symboliquement, cette carte de séjour constitue le seul lien avec mon pays d’origine ». Une identité de papiers ? Pas seulement. Il est ici évoqué cette "schizophrénie identitaire" et le "trop de contradictions [qui] pèsent ainsi sur nous, sur moi". "je crois être consciente des enjeux et même si je voulais tout lâcher pour devenir totalement française, je ne le pourrais pas, faute d’être pleinement considérée par beaucoup d’entre eux". "Tel est l’enjeu, une nouvelle fois répété : que la société fasse sienne cette part d’elle même et lui offre aussi les outils pour se penser et se vivre multiple. Sans forligner.
Déroutant enfin ce manque d’amour et d’affection pour cette jeune fille qui a le malheur d’arborer une peau aussi mate que celle du père : " J’attends de leur part une reconnaissance violente. Aussi violente que l’est ma douleur de n’être rien à leurs yeux. Chaque jours, je me débats, je me déchaine pour récupérer un peu de cette confiance en moi que ma famille a allégrement déchiquetée eu fil du temps. C’est et ce sera toujours mon éternel combat. Mais malgré mes efforts, rien de vient. Jamais ! Je me résigne à enfouir ce chaos en moi tout en continuant de continuer à vivre".

Mustapha Haroune 

Salima Senini, Du côté de chez moi, Les Arènes, 2013, 237 pages, 17€.