L’immigration peut-elle ralentir le vieillissement de la population ?
Au 1er janvier 2070, la France devrait compter 68,1 millions d’habitants, soit 700 000 de plus qu’en 2021. Il s’agit là du scénario dit « central » établi par l’Insee. Les risques de décès par sexe et âge diminueraient au même rythme que sur la décennie 2010, la fécondité se stabiliserait à 1,8 enfant par femme et le solde migratoire serait de 70 000 habitants en plus par an (+ 65 000 entre 1970 et 1995, identique depuis).
À partir de 2035, le solde naturel deviendrait négatif, autrement dit les décès seraient plus nombreux que les naissances. Dans un premier temps, le solde migratoire compensant ce déficit naturel, la population continuerait d’augmenter pour culminer à 69,3 millions d’habitants. Tout changerait à partir de 2044 : la population diminuerait de 45 000 personnes en moyenne par an (– 0,1 % par an), pour atteindre 68,1 millions d’habitants en 2070.
En plus de ce scénario central (solde migratoire de + 70 000 par an), l’Insee envisage deux autres possibilités : avec un solde migratoire de 120 000 personnes par an, la France compterait 4,1 millions d’habitants de plus en 2070 (72,3 millions), avec un solde migratoire de + 20 000 personnes par an, il y aurait 4 millions de moins d’habitants en moins (soit 64 millions)…
La question du rapport entre population active et population inactive
Ce que les économistes nomment le "ratio de dépendance" ou taux de dépendance économique est le rapport entre inactifs (moins de 20 ans et plus de 65 ans) et actifs (de 20 à 64 ans). Il est défavorable lorsqu’il est supérieur à 100 (ou « fort »), c’est-à-dire lorsqu’il y a davantage de jeunes et de seniors que de personnes en âge de travailler.
Selon plusieurs projections menées par Élisabeth Algava et Nathalie Blanpain (Insee), quelques soient les scénarios retenus, la poursuite du vieillissement de la population jusqu’en 2040 est quasi certaine. En 2040 (scénario central), il y aurait 51 personnes de 65 ans ou plus pour 100 personnes de 20 à 64 ans, contre 37 en 2021. Entre 2040 et 2070, l’évolution de ce rapport de dépendance démographique est beaucoup plus incertaine et dépend davantage des hypothèses retenues quant aux évolutions des soldes naturels et migratoires. Sur ce dernier point, un apport migratoire de 120 000 personnes par an engendrerait 0,8 million d’actifs de plus en 2040 et 2,0 millions en 2070 par rapport au scénario central. En revanche, un solde migratoire de 20 000 personnes par an conduirait à un constat symétrique à la baisse.
Ainsi, l’amplitude des variantes autour du scénario central (+ 70 000) se situe dans une fourchette de plus ou moins 2,0 millions de personnes à l’horizon 2070. Dans tous les scénarios, le nombre d’actifs par inactif de 60 ans ou plus serait compris entre 1,3 et 1,5 en 2070. Autrement dit l’impact de la migration, dans le cadre des trois scénarios envisagés par l’Insee, serait faible.
L'immigration comme variable d’ajustement ?
Si les débats autour de la question du financement des retraites portent sur de nombreux autres éléments comme l’âge du départ à la retraite, le montant des pensions, la balance entre retraite par répartition et retraite par capitalisation… certaines prévisions tablent sur l’immigration pour si ce n’est régler la question du financement des retraites à tout le moins pour en alléger la charge. Ainsi, dans Les Trente glorieuses sont devant nous (Rue Fromentin, 2011) Karine Berger et Valérie Rabault estimaient à environ 10 millions de nouveaux immigrés répartis sur les trente prochaines années, soit plus de 330 000 immigrés par an, pour que le pourcentage entre les actifs et les retraités reste le même qu’aujourd’hui. Un taux près de trois fois plus élevé que l’hypothèse haute (+120 000) de l’Insee…
En Allemagne, pour les chercheurs de l’institut IAB, rattaché à l’agence fédérale pour l’emploi, il faudrait accueillie 400 000 personnes par an soit le double de la moyenne des trente dernières années. Pour Johannes Fuchs, un des auteurs de l’étude, « Au sein de l’Union européenne, les prévisions démographiques sont comparables aux nôtres. Ce n’est pas de ces pays que la migration nécessaire viendra. L’Allemagne s’efforce déjà d’attirer des non-Européens. Nous aurions besoin de 400 000 personnes par an, mais cela n’est pas forcément réaliste et le nombre d’actifs va sans doute diminuer. » La question du maintien du rapport entre population active et personnes âgées exigerait des flux annuels si importants (200 000, 300 000 et au-delà) qu’ils seraient « irréalisables » voire « illusoires », selon Hervé Le Bras (2021) qui s’appuie notamment sur un rapport de l’ONU dont les conclusions ont été détournées à des fins électoralistes (Migration de remplacement : est-ce une solution au déclin et au vieillissement des populations ?, Division de la population, Département des affaires économiques et sociales, Nations Unies, New York, Nations Unies, 2000.) De même pour François Héran « Le recours à l'immigration n'est pas en France une solution au problème des retraites et du vieillissement ». Selon le démographe, pour maintenir le ratio des 15-64 ans sur les plus de 65 ans au niveau de 1995, il faudrait faire entrer en France 94 millions d'immigrés d'ici à 2050 ! « C'est parfaitement illusoire », indique François Héran, qui rappelle en outre que les immigrés vieillissent eux aussi et ne pourront donc pas empêcher, à terme, la dégradation du taux de dépendance.
Si l’immigration reste indispensable pour le bon fonctionnement de nombreux secteurs d’activités et ce, malgré un taux de chômage de 8% et un taux de chômage de l’ensemble des immigrés de 12,9% ; si l’immigration participe et participera de manière « indispensable » (Catherine Wihtol de Wenden) au dynamisme démographique et économique du pays, en revanche, l’immigration ne comblera pas, en France ou en Allemagne, le déficit des caisses de retraite.
Mustapha Harzoune, 2022
Source :
- Immigration, marché du travail et intégration, rapport du séminaire présidé par François Héran, alors directeur de l'INED, novembre 2002.