Qu’est-ce que le codéveloppement ?
Aujourd’hui, entamer une recherche sur le codeveloppement aboutit via les moteurs de recherches à des infos sur le codeveloppement… managérial ou professionnel. Exit la question des rapports pays développés/pays en voie de développement. C’est dire le succès et les réussites d’une politique inaugurée au début des années 80. Le codéveloppement ambitionnait de renégocier avec certains partenaires africains une plus juste redistribution de la richesse mondiale et de combler l’écart entre le Nord et le Sud. Cette "utopie généreuse" (Christophe Daum) ne dura qu’un temps. Dix ans plus tard, il s’agissait de permettre à des immigrés de rentrer à la maison, en l’occurrence du côté du fleuve Sénégal, et de les aider à monter leur petite entreprise. En 1998, Jean-Pierre Chevènement en définie les grandes lignes : valoriser les capacités intellectuelles et financières de migrants pour les mettre au service des pays d’origine. Dans les faits, la politique de codéveloppement rappellait l’aide au retour, inaugurée en… 1977 par Lionel Stoléru et son célèbre million.
Malgré la palette des actions envisagées (mobilisation des compétences des élites de la diaspora, investissements locaux via notamment les ONG de l’immigration, "aides au retour" devenues aides à la réinsertion, investissements productifs dans les pays à l’origine des flux migratoires) le codéveloppement ne parvient pas à sortir de l’ambiguïté : aide au développement ou volonté de maîtriser les flux migratoires ? En 2007, le ministère dit de l’Immigration, de l’Intégration, du Codéveloppement et de l’Identité nationale lèvera l’équivoque : le codéveloppement est envisagé comme un frein à l’immigration dans le cadre d’"accords de gestion concertée des flux migratoires" qui incluront même l’APD, l’aide publique au développement. APD et "développement solidaire" sont conditionnés à la volonté des États du sud de maîtriser l’immigration (contrôle des flux, réadmissions des migrants clandestins…).
Au service de qui ?
Si la gestion des flux migratoires prime sur le développement, il n’en reste pas moins qu’au fondement de ces politiques figure un credo : la pauvreté serait la mère de toutes les migrations. Éradiquer la misère permettrait de calmer les désirs d’ailleurs. Pourtant, à court terme, le développement d’une région conduit à une hausse de l’exode rural et de l’émigration suscitée par de nouvelles aspirations, tant culturelles qu’économiques. C’est à long terme que le développement peut freiner l’émigration. De sorte que les discours politiques prônant la substitution des migrations par le développement économique pourraient décevoir l’électeur. Pire, faute de s’inscrire dans des perspectives durables, les politiques de codéveloppement comme l’instrumentalisation des APD détournent ces politiques de leur raison d’être. Ce que ne manquent pas de dénoncer des personnalités et des ONG, africaines notamment, mais aussi les sénateurs en juillet 2007 : "la politique de codéveloppement apparaît davantage tournée vers un objectif interne, freiner l’immigration et favoriser le retour des migrants, que vers une politique « externe » visant à favoriser le développement du pays d’origine".
Les acteurs du co-développement
Le co-développement semble aujourd’hui concerné deux pôles d’action. D’une part s’attacher aux opportunités économiques d’un continent qui devrait compter plus de 2 milliards d’habitants d’ici 2050 et près de 4 milliards d’ici 2100. Au nom de partenariats, de codéveloppement des économies et des entreprises, les convoitises se bousculent : le marché attire chinois, indiens, brésiliens ou russes qui viennent redistribuer le jeu jusque-là la dominé par les anciens colonisateurs. C’est dans ce cadre, que tentent de s’insérer une élite afro-européenne regroupée dans des cercles associatifs comme le Forum des diasporas africaines de France qui table sur la mobilisation, la participation et les opportunités des diasporas africaines soit « 8,5 millions de personnes réparties dans toute l’Europe, dont 3,5 millions en France » présentée comme « un potentiel humain et économique hors du commun (…) pour relier nos deux mondes et mettre en commun des représentations de valeur solidaire… » (Le Monde 22 juin 2018). Une façon de placer les diasporas « au cœur du co-développement euro-africain ».
A ces velléités d’une élite afro-européenne s’ajoute l’action traditionnelle, par le bas, des migrants en faveur du développement économique et du codéveloppement, une action dont les effets se font sentir aussi pour les sociétés d’origine et d’accueil que pour les acteurs eux-mêmes. Ainsi, en est-il de la manne financière que représentent les transferts de fonds effectués par les migrants et binationaux africains vers leurs pays d’origine. Selon l’African Institute for Remittances, ce montant s’élevait à 65 milliards de dollars pour l’ensemble du continent en 2017 contre 44,3 milliards en 2007. En 2019, ils s'élevaient à près de 76 milliards d'euros, soit plus de la moitié de l'aide publique au développement à destination de l'Afrique. Ces montants ne sont pas marginaux, pour certains pays africains, ces transferts peuvent représenter jusqu'à 30 % de leur richesse nationale.
A partir du cadre traditionnel des tontines et des caisses villageoises, les immigrés se sont organisés en associations pour répondre aux besoins des villages d’origine (approvisionnement en eau, en santé, en éducation, logement), ils ont ainsi développé un espace d’action et d’engagement en faveur du développement des savoir-faire, de l’acquisition d’expériences et de compétences, voir entrepreneuriales. Ces transferts de fond sont généralement affectés aux besoins quotidiens des familles ou du village d’origine. L’importance des flux ainsi transférés, pourraient être, selon d’autres acteurs économiques, investies dans l’économie via la création d’entreprises ou la création d’infrastructures…
Reste que les transferts d'argent depuis la France vers l'Afrique (44 milliards d'euros) subissent les effets de la crise : la diminution des revenus des travailleurs africains en France tend à en faire baisser le volume. Par ailleurs, ces transferts d’argent doivent supporter la ponction de frais très lourds au profit deux principaux organismes pratiquant ces transferts d'argent, Western Union et MoneyGram. Ces frais s’élèvent à 9 ou 10 % voir près de 15% en Afrique Australe - loin des 3 % souhaités par le FMI au titre du développement durable !
Mustapha Harzoune, 2022