Quelles sont les victimes des discriminations fondées sur l’origine dans l’emploi ?
Longtemps confondues avec le racisme, les discriminations fondées sur l’origine, réelle ou supposée, produisent des attitudes et des discours qui ne sont pas forcément intentionnels mais relèvent aussi de processus diffus qui engagent indirectement un réseau d’acteurs. Elles constituent une entrave majeure à la liberté individuelle et à l’égalité de traitement. L’emploi est le premier domaine en France où les discriminations se manifestent (secteur privé et services publics) et l’origine est le premier critère : mise à l’écart systématique de CV, refus de candidature à l’embauche, attribution systématique de tâches ou de postes en fonction de l’origine, déqualification des personnes employées, inégalité salariale et dans l’accès à la formation ou à la promotion, etc.
Intégrer la lutte contre les discriminations dans le dispositif législatif
Les victimes de discrimination sont difficiles à identifier. Le système statistique officiel prend en compte le critère de nationalité, mais pas l’origine des personnes. Jusqu’à sa dissolution, La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), créée par la loi de décembre 2004, fournissait des données issues des réclamations reçue. Ainsi, en 2006, 155 réclamations étaient enregistrées par la Halde pour discrimination à l’embauche fondée sur l’origine. La Halde est dissoute en 2011, et ses missions ont été transférées au Défenseur des droits. Depuis février 2021 le Défenseur des droits à mis en ligne une plateforme dédié aux victimes de discriminations (accéder à la plateforme en ligne). Après 10 mois d’existence, près de 10 000 appels ont été enregistrés, dont 7 500 ont abouti sur une saisine du Défenseur des droits. Cela représente une augmentation de près de 150 % de l’activité annuelle de l’institution (en 2020, le Défenseur des droits avait été saisi de 5 100 réclamations en matière de discriminations).
Les jeunes issus de l’immigration sont les plus touchés
D’après différentes enquêtes, les victimes de discriminations raciales touchent les populations d’origine étrangère, principalement les jeunes, nés en France pour la plupart, et de nationalité française. Parmi ces jeunes, les enfants de parents immigrés originaires du Maghreb et d’Afrique Subsaharienne sont les plus touchés dans l’emploi.
Depuis 2008 la discrimination à l'embauche est interdite par la loi en France. Pourtant, depuis 2008, trop de candidats à l'emploi viennent buter sur le mur des discriminations. Les études se succèdent ; les données se multiplient, les témoignages abondent, et pourtant ce mal français perdurent. En 2008 l’enquête Trajectoires et Origines de l’INED en, rendait compte ; en 2017 Dominique Meurs s’appuyant sur l’enquête TeO1 montrait que les enquêtes sur les ressentis des discriminations apportent une information fiable qui peut être plus simple à mettre en œuvre que les testings et mesures quantitatives (voir son article en ligne). Toujours en 2017, Béatrice Boutchenik, Jérôme Lê, (Insee) publiaient une étude centrée sur les discriminations subies par les descendants d'immigrés maghrébins sur le marché de l’emploi (lire l'étude). Ils montraient que l’écart dans les taux de chômage entre les descendants d’immigrés maghrébins et la moyenne de la population relève pour moitié de discriminations et que les discriminations se manifestaient aussi sur le salaire mensuel net moyen à temps complet (-13% pour les hommes descendants d’immigrés maghrébins et -8% pour les femmes). De plus il montraient l’existence d’un « plafond de verre » au sommet de l’échelle des salaires qui rend plus difficile l’accès aux salaires supérieurs à 3 000 euros nets mensuels. A caractéristiques égales, les chances des descendants d’immigrés d’accéder à ces niveaux de salaire par rapport aux personnes sans ascendance migratoire sont inférieures de 15 % environ parmi les femmes et 25 % parmi les hommes.
Données et études en 2021
En 2021, une étude du ministère du Travail confirme, une fois de plus, l’existence de ces discriminations. Selon la méthode du testing 9.600 candidats fictifs ont répondu à 2.400 offres d'emploi entre décembre 2019 et avril 2021. Chaque annonce a donc reçu quatre candidatures, de qualité comparable, se distinguaient par le sexe et l'origine des candidats, suggérés par leurs noms et prénoms. Premier constat, en moyenne et à qualité comparable, « les candidatures dont l'identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d'être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d'origine française ». De fait, à profil équivalent, une personne dont le nom ou le prénom a une consonance maghrébine « doit envoyer en moyenne 1,5 fois plus de candidatures […] pour recevoir le même nombre de réponses positives ». Et ceci est particulièrement sensible « pour les employés commerciaux, les commis de cuisine et les employés administratifs » (Services des statistiques et de la recherche du ministère du Travail, Dares).
A l’occasion de la publication en décembre 2021 de la 14e édition du baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi, la Défenseure des droits, Claire Hédon, alerte quant à une surexposition de la jeunesse aux discriminations dans l’emploi. D’après l’enquête menée avec l’Organisation internationale du travail (OIT) auprès d’un échantillon représentatif de la population de jeunes actifs de 18 à 34 ans (3 201 personnes), 37 % déclarent avoir déjà vécu une situation de discrimination ou de harcèlement discriminatoire dans le cadre de sa recherche d’emploi ou de sa carrière. Des discriminations qui se produisent lors d’un recrutement (34 %), dans le travail au quotidien (33 %), dans l’évolution de carrière (23 %) ou pour obtenir un stage (18 %)..
De manière générale, les motifs de discriminations sont particulièrement identifiés par les 18-34 ans : l’origine, la couleur de peau ou la nationalité, l’apparence physique, l’identité de genre et l’orientation sexuelle. Ces jeunes actifs rapportent que les discriminations se produisent dans l’ensemble des domaines de la vie sociale : recherche d’un emploi (56 %), contrôles de police (54 %), recherche d’un logement (53 %), déroulement de la carrière (48 %), recherche d’un stage (47 %), à l’école ou l’université (45 %) et lors d’une demande de crédit ou d’assurance (42 %).
Le Défenseur des droits a publié de nombreuses propositions de réformes et recommandations afin de mieux prévenir et sanctionner les discriminations, notamment : mesurer les inégalités et les discriminations pour agir ; créer un Observatoire des discriminations ; assurer une sanction dissuasive des discriminations par les juges ou encore éduquer contre les discriminations.
Mustapha Harzoune, 2022