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Si tu cherches la pluie, elle vient d'en haut

Adel et Déhia se promènent en Italie, ils se sont rencontrés lors d'un débat sur "la pluralité dans les sociétés postcoloniales" et vivent ensemble depuis une dizaine d'années. Mais ils viennent de loin, "de là où la mort ne s'invite pas, résidant à demeure, frappant, saisissant, emportant la vie à sa guise". Ils viennent de l'Algérie des « années noires » et, rescapés de l'horreur, ils ont eu tout à reconstruire. Ensemble. Le roman de Yahia Belaskri évoque leur voyage de Rome jusqu'à l'extrémité de la péninsule tout en revenant sur ce qu'ils ont vécu l'un et l'autre.

Déhia, fille d'un haut fonctionnaire intègre, elle-même professeur d'université, a quitté son pays après l'assassinat de sa mère par ses frères et le meurtre de Salim, son amant, universitaire comme elle. Une université dont les enseignants pouvaient gagner des millions en acceptant de relever les notes de leurs étudiants, voire une rente à vie et un poste à l'étranger en écrivant une thèse à la demande d'un père bien placé. Une université fréquentée par des jeunes abrutis de religion, plus préoccupés de savoir ce qui est licite ou pas que d'appréhender la complexité et la diversité du monde. Adel vient d'une famille misérable, mais il a réussi à faire des études. Devenu cadre dans diverses sociétés, lui aussi a été confronté à la corruption des dirigeants, comme à celle de l'armée lors de son service militaire. C'est après avoir perdu celle qu'il devait épouser dans un attentat dont il réchappe miraculeusement qu'il décide de partir, laissant les siens à leur misère, notamment son plus jeune frère, Badil.
Dans l'Algérie de ces années-là, tout n'est que violence, boue, peur, agressivité, corruption. Camus célébrait "la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru", "la lumière à gros bouillons sur les amas de pierre", "le grand libertinage de la nature et de la mer", Belaskri ne parle que de pluie et d' une ville devenue "affreuse, sale, trop de monde, trop de voitures, on ne prend même plus le temps de vivre avec la mer", de gens excédés s'invectivant, s'injuriant sans cesse, de misère sexuelle, du viol des plus démunis, hommes ou femmes. Rien ne sourit dans ce monde gangrené que le lecteur découvre la gorge, les tripes nouées, au rythme haletant des phrases courtes, sèches de l'auteur. La guerre civile a laissé des traces irréparables, brisé des destins, elle ne peut que hanter les survivants, même s'ils ont choisi l'exil.
Badil finira par rejoindre son frère, mais dans des conditions atroces. La dernière partie, très courte, intitulée "La rencontre", ne laisse pas de répit. En revanche, elle fait terriblement écho à l'actualité : le sort des migrants clandestins et, en ce début d'année 2011, la révolte des jeunes Algériens, si nombreux, une colère profonde face à la vie chère et à une société bloquée, où même ceux qui ont un emploi rêvent de quitter le pays.

Élisabeth Lesne

Yahia Belaskri, Si tu cherches la pluie, elle vient d'en haut, Vents d'ailleurs, 2010, 128 pages, 14 €