Les portraits de famille : l’exemple du fonds Kousnetzoff
Fond Kousnetzoff
Le fonds photographique Kousnetzoff, provenant d’une famille russe émigrée en 1920, comprend des portraits, des vues et des scènes diverses conservés dans des albums, sous forme de négatifs ou de tirages isolés. Ces photographies racontent la vie du noyau familial formé par Marie, son mari Nicolas et leurs deux fils, Dimitri et Nicolas, sur leur lieu de vie à Chatou ou en voyage ; mais elles montrent aussi la famille élargie : le père et la sœur de Marie, l’époux et les enfants de cette dernière, la tante Baba Nadia, le cousin Léo en Belgique, la tante Liouba en Suisse et quelques autres.
À la différence d’un portrait de studio, où le modèle se présente immobile devant un décor, les portraits de famille du fonds Kousnetzoff sont pris en extérieur, devant un portail, dans le jardin de Chatou ou sur un bateau de croisière. Que les modèles soient au nombre de deux (Dimitri et Nicolas, Marie et un de ses fils) ou une dizaine, c’est le groupe qui est mis en valeur et non l’individu. S’agissant de personnes exilées, le portrait de famille permet d’afficher les liens du sang mais aussi la solidarité entre parents dans le pays d’accueil ; on « fait bloc » pour se soutenir face aux épreuves endurées en émigration.
Plusieurs portraits renvoient à l’idée du « mur de famille » (Anne-Marie Garat) : le groupe se construit comme un mur, qui devient alors une métaphore du ciment familial et permet de « faire famille ». Certains sont effectivement posés devant un mur, une façade ou un portail : les hommes sont debout, les bras derrière le dos ou le long du corps et les femmes assises, les mains posées sur les genoux, le buste bien droit. Frontalité et immobilité sont de rigueur. Dans la famille d’Olga, sœur de Marie, le groupe inclut un chien. L’âge des enfants ainsi que la mode vestimentaire (le chapeau-cloche porté par la tante Baba Nadia) permettent une datation approximative. Si ce type de portrait obéit aux conventions de la pose telles qu’elles sont régies depuis des siècles, le genre connaît entre les deux guerres une rapide évolution.
Plus libres sont en effet les portraits réalisés dans le jardin familial ou à l’occasion de voyages par Nicolas Kousnetzoff, dont le nom figure sur les pochettes délivrées par le photographe qui assurait le développement des films et les tirages. Marie pose avec ses deux fils ou ces derniers avec leur grand-père. Parfois, le groupe est élargi à la tante Baba Nadia et à la jeune femme qui s’occupe des enfants, réunies autour d’une table de jardin ou en bord de Seine. Ces portraits se situent entre la pose et l’instantané ; les modèles ne sont pas toujours de face, ils ne respectent pas la rigidité des portraits plus conventionnels, ils ont parfois bougé (de nombreux clichés sont flous). On suit les deux garçons dans leurs jeux ou leurs promenades dans les bois ou en bord de Seine, perchés sur un arbre ou accompagnés d’un chien berger.
Le fonds Kousnetzoff comprend un troisième type de portrait de famille, qui prend davantage de libertés avec les codes du genre. Les modèles sont assis par terre ou très bas, dans l’herbe ou sur des chaises longues, réunis dans un jardin ou pour un pique-nique à la campagne ; le photographe s’abaisse à leur niveau pour les cadrer. Réalisés pour l’essentiel dans les années 1930, à une époque où l’offre d’appareils portables s’accroît, ces portraits témoignent de l’essor de la pratique amateur dans une grande partie de la société.
Hélène Bocard, conservatrice en chef du patrimoine au service des collections du Musée national de l’histoire de l’immigration
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Informations
Papier (technique photographie *noir et blanc)
H. 12,3 cm, l. 16,9 cm