La famille Petek
Avni Hilmi Petek, le grand-père paternel de Gaye Petek, est né à Salonique, il émigre en Turquie avec sa sœur et une partie de la famille dans les années 1911/12 lors la Guerre des Balkans. Il établit sa pharmacie d’abord à Istanbul, et y rencontre sa future épouse, Nebile, la grand-mère de Gaye. Leur fils, Fahrettin, dit Fahri, Petek, naît en 1922 à Rami, quartier d’Istanbul.
En 1923, dans les suites du traité de Lausanne, Avni Hilmi, musulman et citoyen ottoman et turc accepte l’offre que le gouvernement turc fait aux expatriés des Balkans. On lui attribue un terrain et une pharmacie à Bergama, près d’Izmir. Il meurt précocement, en 1927, de la tuberculose. Sa femme Nebile apprend l’alphabet latin pour conserver la direction de la pharmacie jusqu’à ce que son fils Fahrettin soit en mesure de la reprendre. Celui-ci, pendant ses études à Istanbul, s’initie au marxisme. C’est en homme notoirement engagé à gauche qu’il devient pharmacien à Bergama en 1947. Consterné par la misère rurale, il adhère au Parti ouvrier paysan. En 1946, il se marie avec Neriman, une amie de sa cousine. Leur fille Gaye naît le 1er avril 1949.
En juillet de cette même année, Fahrettin Petek arrive en France pour éviter d’effectuer le service militaire en Turquie, car il risque sa vie pour ses attaches avec la mouvance communiste. Il choisit la France par admiration pour la Révolution française et les Lumières, mais ne parle pas un mot de français. Débarqué à Marseille, il s’installe à Paris, vit d’expédients, loge dans des hôtels entre Bastille et la place de la République.
Installé dans une chambre de bonne du 13 boulevard Saint-Martin il fait venir sa femme et sa fille, en 1951. Dès son arrivée, il devient co-fondateur de l’association « Union des jeunes Turcs progressistes », qui demande la libération du poète et prisonnier politique Nazim Hikmet, campagne dont Tristan Tzara sera le président d’honneur, avant de s’en éloigner après la libération du poète en juillet 1951.
Ayant emmené avec lui son diplôme obtenu à la faculté de Pharmacie de l’Université d’Istanbul, Fahrettin Petek reprend des études de biochimie, à la faculté de Pharmacie de Paris, pour préparer une thèse de doctorat sous la direction du professeur Jean-Emile Courtois, dont il est très proche et qui lui offre une balance de pharmacien, même modèle que celle qui est toujours dans la pharmacie de Bergama, qu’il conserve toute sa vie en souvenir, sans jamais l’avoir utilisée. Il fait carrière, entre au CNRS à partir de 1954 ; il en est le premier chercheur turc, puis, après avoir soutenu sa thèse en biochimie moléculaire, devient Maître de recherches en 1966 puis Directeur de Recherches en 1972 (il prendra sa retraite en 1986).
En 1952, Nebile, la mère de Fahrettin Petek, vient leur rendre visite à Paris. Pour laisser au couple le temps de s’installer, elle ramène Gaye pour l’été en Turquie. Mais, comme la petite n’a pas de passeport individuel, et par mesure de rétorsion à l’encontre de son père, elle sera finalement retenue 2 ans et demi en Turquie, avant d’être finalement autorisée à quitter le pays, en 1955.
Confiée à la garde d’une hôtesse de l’air d’Air France pour le vol, Gaye Petek est sortie de l’avion, qui est rappelé sur le tarmac peu après son décollage. Ses bagages sont inspectés, ses livres déchirés car les autorités suspectent qu’ils contiennent des microfilms ou messages codés à destination de son père. Finalement l’avion est autorisé à partir après qu’elle a été réembarquée, mais Gaye reste profondément marquée par cet épisode.
Scolarisée à l’école primaire dans le quartier République, Gaye a un souvenir très vif de son institutrice, Jenny Plocki, qu’elle a pu retrouver de nombreuses années plus tard. Mme Plocki avait déployé beaucoup d’efforts pour que Gaye et une autre petite fille étrangère puissent apprendre le français et réussir leurs études.
La famille Petek évolue dans un microcosme turc intellectuel et artistique, exilés politiques ou artistes en quête d’inspiration. Ces hommes célibataires se retrouvent régulièrement chez les Petek, reconstituant une « Petite Turquie » chère à Fahrettin Petek Une autre figure du groupe est le peintre Abidin Dino.
Fahrettin Petek est exclu du parti communiste turc car il est antistalinien et suspecté de « titisme » (adhésion à Tito). En 1952, il est invité à quitter sous 48h le territoire par le gouvernement français, qui cultive d’excellentes relations diplomatiques avec la Turquie, en raison de son positionnement politique. Jean-Émile Courtois, fait intervenir ses relations pour éviter l’expulsion. Plusieurs années plus tard, en 1965, Fahrettin Petek apprend qu’il a été déchu de sa nationalité turque en 1961. Sa demande de nationalité française est rejetée. En 1969, il demande un passeport d’apatride, qu’il conserve dix ans et fait une nouvelle demande d’obtention de la nationalité française, acceptée en 1970. Il ne pourra retourner en Turquie qu’en 1989, 40 ans après son exil. Gaye et sa mère y retourneront régulièrement à partir de 1965. Fahrettin Petek sera plusieurs fois convoqué à la DST, qui veut connaître ses potentielles intentions en tant qu’opposant politique, notamment lors de la visite du premier ministre turc prévue en 1959, et qui n’aura pas lieu car celui-ci sera destitué par un coup d’Etat militaire en 1960 et finira exécuté.
Après ses études et son mariage avec Jak Salom un des responsables de la Cinémathèque d’Istanbul, Gaye Petek retourne vivre en Turquie, où elle enseigne le français au Lycée St Michel. La Turquie vit alors sous État martial à la suite d’un coup d’état militaire (1971) ; Son mari travaillant avec le cinéaste Yilmaz Güney qui sera arrêté, Gaye Petek et son époux seront contraint à quitter le pays. Elle intègre le Service Social d’Aide aux Emigrants , sollicitée par Altan Gökalp, anthropologue turc installé en France, qui y travaille également. Entre 1972 et 1980, elle épaule ainsi les travailleurs turcs, arrivés en « célibataires », puis leurs épouses quand le regroupement familial est instauré. De 1981 à 1983, elle travaille à la délégation parisienne du Haut-Commissariat aux Réfugiés.
En 1984, Gaye PETEK crée Elele, une association laïque pour les Turcs de France. Elele signifie « main dans la main ». L’association, parallèlement à son travail d’accompagnement social pour l’intégration, développe des actions de soutien des femmes victimes de violences, et organise des manifestations culturelles et du soutien scolaire pour les enfants. Faute de subsides suffisants, l’association cesse ses activités en 2010, suscitant une polémique sur l’attitude du gouvernement envers les acteurs associatifs du champ des migrations.
Elisabeth JOLYS-SHIMELLS, conservatrice en chef du Patrimoine en charge de la collection Témoignages et société
Les parcours des donateurs font l’objet d’entretiens filmés accessibles en ligne. Retrouvez-les sur cette carte :
Informations
Bois, verre, métal
H. 46 cm, l. 56 cm, P. 24 cm