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Littératures méditerranéennes et horizons migratoires. Une anthologie.

"L’exil nous fait moins étranger au monde" écrit l’Algérien Mohamed Dib et d’ajouter "Un migrant qui ne reste qu’un immigré, est un migrant raté". D’ailleurs, selon son compatriote Waciny Laredj, "la sensibilité de l’étranger s’exacerbe lorsqu’il a perdu sa patrie et ses proches". Il faudrait voir d’ailleurs à ne pas gaspiller son existence : "Pour avoir tant gâché ta vie sur ce petit coin de terre, tu l’a ruinée dans l’univers entier" prévient le poète grec Constantin Cavafy.

Que dire aussi de ce texte écrit par le Libanais Faris Chidyaq en 1855 : "Comment peux-tu accepter de ne pas te rendre dans la patrie d’une langue étrangère, dans le foyer d’une pensée différente de la tienne ? Le béret de l’étranger abrite peut-être des pensées et des réflexions qui n’ont jamais effleuré le dessous de ton nez : il se peut qu’elles te fassent méditer, qu’elles suscitent en toi l’envie de connaître le cerveau qui les abrite" ? Enfin, sur un autre registre, histoire sans doute de corriger quelques strabisme historico-culturel et d’être plus attentif aux mouvements de la vie qui de l’autre côté de la Méditerranée agitent aussi les sociétés et les hommes : "On ne peut indéfiniment vivre sur une culture du passé transformée en folklorité pour touriste […] et se dire qu’on a la culture. Oui, il faut sauver ce patrimoine. Mais il faut également aider la jeunesse qui s’exprime à mieux parfaire ses armes intellectuelles, à poser les bases d’une culture actuelle (…)" dixit le Marocain Mohammed Khaïr-Eddine.
Ce ne sont pas les citations qui manquent ici. Cette anthologie rassemble pas moins de soixante auteurs méditerranéens, dont les textes ici colligés virevoltent autour d’un axe qui a pour nom l’exil, les migrations, la découverte de l’Autre et du monde mais aussi la nostalgie, la perte, l’absence, l’exploitation ou le mépris, les bifurcations sans retour, les regrets et les silences. Cette pérégrination dans l’univers des migrations, bivouaque un temps du côté des nationalismes sourcilleux et acariâtres qui, au lendemain des indépendances, eurent vite fait de réduire au silence ou de rejeter celles et ceux dont la seule présence rappelait que l’histoire de ces sociétés commençait bien avant le VIIe siècle et ne s’arrêtait pas une fois la liberté recouvrée sur d’autres envahisseurs. Où se situent alors l’absence et le manque ?
Salim Jay introduit chacun des extraits par quelques lignes utiles et plaisantes. Faris Chidyaq (1855) ouvre le bal et François Cavanna (2011) le referme. Entre, défilent des Grecs (Cavafy, Tsirkas, Alexakis…), des Algériens (Boudjedra, Yacine, Djemaï, Lakhous…), des Espagnols (Chirbes, Goytisolo, Vasquez, Fajardo…), des Egyptiens (Cossery, Hussein, Ibrahim), des Turcs et autres Italiens, sans oublier quelques plumes nationales : de Clavel à Delphine Coulin en passant par Marie N’Diay, Ahmed Kalouaz, Robert Solé ou Hélène Cixous.
Journaliste, spécialiste des littératures de la migration, des littératures arabes et maghrébines, Salim Jay est aussi écrivain et l’auteur notamment de Embourgeoisement immédiat et de Victoire partagée (La Différence, 2006 et 2008). Dans l’introduction, il écrit : "Émigrer, c’est d’abord, souvent, être regardé, évité, se cacher des autres ou bien être accueillis par eux, à moins qu’ignoré voire conspué. C’est trop souvent de nos jours avoir traversé l’enfer pour aboutir en centre de rétention : mais émigrer, c’est aussi et plus souvent qu’on ne veut désormais l’entendre dire, être apprécier de ceux parmi lesquels on vit et les apprécier, tout en participant à la vie matérielle et intellectuelle du pays natal, plus efficacement que beaucoup ne l’imaginent".

Mustapha Harzoune

Salim Jay, Littératures méditerranéennes et horizons migratoires. Une anthologie, Édition Séguier, 2011, 386 pages, 22€.