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Etre français. Les quatre piliers de la nationalité

Liberté égalité fraternité et… diversité. Finalement la question qu’aborde cet opuscule sous titré "les quatre piliers de la nationalité" porte sur la capacité des Français et de leurs responsables à placer le pays sur les rails de la modernité sans forligner. La modernité ici se mesure à l’aune du respect des droits humains, des appartenances multiples, des identité complexes et composites.

Ces quatre piliers constituent "le code socio-politique de la France pour les Français et au yeux du monde". Patrick Weil les énumère : le principe d’égalité (même si l’expérience coloniale montre que l’on peut aussi prendre quelques libertés avec ce principe) ; la langue française ; la mémoire positive de la Révolution et "last but not least", la laïcité qui depuis 1905 instaure la liberté de conscience, la séparation de l’Eglise et de l’Etat et le libre exercice des cultes. "Forces et facteurs d’unification et de transformation, ces piliers représentent l’indifférenciation – l’assimilation – à laquelle chacun aspire dans certaines situations autant que le respect de sa particularité dans d’autres. Et ces piliers ont suscité d’autant plus d’adhésion qu’ils ont souvent été mis en œuvre dans la reconnaissance de cette diversité des Français, dans un équilibre qui offre la possibilité de circuler entre des identités composées".
L’auteur rappelle fort justement que le principe égalitaire a joué aussi dans l’histoire des immigrations : à la fin du XIXe siècle quand la loi instaure l’automaticité de la nationalité française. "Les dirigeants de la France connaissaient ses principes unificateurs et avaient appris à les appliquer avec souplesse et pragmatisme. C’est cet esprit qui fait défaut aujourd’hui".
Il faut dire que la société a changé et que face aux nouveaux défis (retour ou réaffirmation du religieux, communautarisme, crise de l’Etat-Nation, guéguerre des mémoires, globalisation, refus d’intégration…), les craintes d’une érosion de ces piliers gagnent. L’auteur, lui, se veut rassurant : les tensions, réelles, relèvent de quelques groupes "très minoritaires". En France, le "sentiment d’appartenance à une même nation [est] plus fort que partout ailleurs en Europe" et la grandeur de la République, le respect de ses principes universels, oblige "parfois à des ajustements qui doivent combiner tradition, égalité, diversité". Et de prendre pour exemple les travaux de la commissions Stasi (égalité des droits en matière religieuse) ou la loi Taubira (qui, en assimilant l’esclavage à un crime contre l’humanité, permet d’intégrer, à part entière, la mémoire des Français descendants d’esclaves dans la mémoire nationale). Tout le contraire, selon l’auteur, des hasardeuses gesticulations récentes sur l‘identité nationale, des déclarations exaltant la supériorité du prêtre sur le maître d’école, de l’instrumentalisation de la peur et du soupçon contre telle ou telle catégorie de concitoyens (en raison de sa religion, de son origine, de son identité, de sa bi-nationalité…) et, bien sûr, des remises en question de la loi Taubira elle-même. Dans ce qu’il conviendrait de ne pas faire, Patrick Weil ajoute la loi sur le port de la burqa et les mémoires coloniales. La première serait inapplicable et pourrait être retoquée suite à un éventuel recours devant la Cours européenne des droits de l’Homme. A voir. Pour ce qui est de son application, l’objet est sans doute aussi de calmer l’ardeur de certains zélateurs… Quant à faire de la burqa un symbole religieux, il faudrait relire le Coran.
Sur la colonisation et les conflits mémoriels, le professeur blackboule la copie de l’élève Renan au motif qu’aujourd’hui on pourrait fait fi du nécessaire "oubli", préconisé dans sa célèbre conférence de 1882 sur la nation, puisque "des citoyens adultes peuvent être confrontés à des interprétations différentes de l’histoire nationale sans perdre le sentiment d’appartenir au même projet, bien au contraire". Peut-être… peut-être… La cacophonie ambiante laisse sceptique. Il faudra bien trouver comment ne pas alimenter le ressentiment – ou simplement offrir la possibilité, telles les braises d’un feu mal éteint, de son retour – chez des "citoyens" certes "adultes" mais aussi et prosaïquement humains. Proust associait "aux troubles de la mémoire" "les intermittences du cœur".
Il faudrait alors davantage compter sur l’exaltation du temps présent et les passions partagées pour construire la société de demain. Et la tâche est vaste pour une humanité qui se (re)découvre une, nécessairement solidaire, horizontale dans un monde où la globalisation multiplie les appartenances et les identifications. "La France n’a pas à craindre des identifications à une région, au pays d’origine ou à une religion : elles se composent le plus souvent avec l’appartenance à la nation et l’adhésion à ses valeurs historiques" écrit Patrick Weil avant de citer Levinas : "C’est à de telles aventures courues par ses citoyens qu’un grand Etat moderne, c’est-à-dire serviteur de l’humanité, doit sa grandeur, son attention au présent et sa présence au monde".

Voilà donc l’enjeu des années à venir : en finir avec les pensées binaires, les idéologies qui se nourrissent de boucs émissaires et de peurs, bousculer les imaginaires, élargir le passé et les horizons en s’appuyant sur ces "piliers" républicains nécessairement revisités par la marche du temps. Le débat est posé.

Mustapha Harzoune

Patrick Weil, Etre français. Les quatre piliers de la nationalité, édition de L’Aube, Collection L’urgence de comprendre, 2011, 37 pages, 5€.