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Békame

Le jeune Bilal débarque dans une ville du Nord, ce pourrait être Sangatte ou Calais. Le gamin est Algérien et sans papiers. Il recherche son frère ainé. Infortune de la clandestinité, il se trouve dans les tentacules d’un réseau de passeurs.

Les types transportent les migrants dans des fourgonnettes, confisquent les passeports, brutalisent leur "marchandise" et enferment ce beau monde dans des hangars, sans lumière, sans aération et où chacun doit assouvir ses besoins à même le sol. Dans Békame, ce ne sont pas les forces de police qui constituent le danger pour ces migrants en transit vers l’Angleterre - même si parfois il faut savoir se planquer sous une voiture. Non ! Ce sont les gros bras de ces groupes mafieux qui violent, obligent à travailler clandestinement dans des conditions inhumaines, jettent les accidentés du "travail" à même la rue, traquent les sans papiers pour alimenter leurs trafics en tout genre et organisent des descentes incendiaires dans les campements de fortune.
Bilal est un petit malin, il va réussir à fausser compagnie à ses gardes-chiourme. Fan de Beckham (David pas Victoria), il se fait appeler Békame, collectionne les images panini du Manchester United, apprend la langue anglaise avec un walkman. Pas maladroit avec un ballon rond, il est remarqué par M. Assane qui, après sa journée de travail dans son taxi, se transforme en éducateur et entraineur de football. Assane, qui aurait bien voulu rencontrer quelqu’un qui l’aide quand il est arrivé en France, prend Bilal sous son aile, le recueille chez lui quelques semaines. A la maison, il y a ses trois filles - Aïcha l’ainée, plutôt hostile, Leïla et Zouna, les deux jumelles - et la vieille belle-mère qui n’ouvre plus la bouche depuis le décès de sa fille… A quoi bon ?! Plus personne ne cause arabe dans l’appartement. Bilal, lui, parlera à la vieille dame. Avis aux arabisants, cela donne des bulles écrites en arabe.
Avec M. Assane, c’est un pan de l’histoire de l’immigration algérienne qui s’entrouvre : la maisonnée où poussent les nouvelles générations et s’esquissent les nouvelles identités, les souvenirs d’un temps où l’immigré gagnait son pain dans la sidérurgie et la métallurgie, le cercle (et la solidarité) des taxieurs et ces temps nouveaux qui voient arriver d’autres Algériens… Justement, Bilal finit par retrouver Ahmed. Le bonheur et le soulagement se doublent vite de nombreuses interrogations et d’autant de troubles sur ce qu’est devenu son frère aîné…

Aurélien Ducoudray a été photographe de presse et comme tel il a réalisé des reportages sur les sans papiers et autres demandeurs d’asile. Son travail, nourri des témoignages recueillis, colle au plus près du réel et dévoile ici cette part souvent obscure des épreuves du clandestin : celles qui le réduit à un pion, fragile et précaire, entre les mains des passeurs. Aurélien Ducoudray a publié Championzé et La faute aux Chinois chez le même éditeur.
Jeff Pourquié signe les dessins et les couleurs. Il est l’auteur de plusieurs BD (Casterman, Fluide Glacial ou Six pieds sous terre) et coauteur notamment d’Immigrants paru en 2010 chez Futuropolis. Jeff Pourquié va à l’essentiel, pas de fioritures pour décrire une réalité brutale. Primat est accordé aux visages, aux cadres resserrés, étouffants, où les personnages sont parfois comme écrasés. Les couleurs sont sombres, les bruns et le bleu nuit dominent et traduisent une atmosphère plombée par la peur, la fuite ou la violence. Quand apparaissent Victor, le punk, et Hugo son chien ou Assane, les planches s’éclaircissent. Par la seule vivacité de son crayon, Jeff Pourquié traduit les émotions du jeune Bilal : un regard, une attitude, une façon de rentrer les épaules… Le gamin est attachant, il n’est qu’une brindille d’intelligence et d’humanité brinquebalée ; pas encore totalement maître de son destin. La suite dans le tome 2, dont la parution est annoncée pour 2013.

Mustapha Harzoune

Jeff Pourquié et Aurélien Ducoudray, Békame, Tome 1, Futuropolis 2012, 96 pages. 17€.