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Les Sauvages 2

Tome 2 des Sauvages, révélation de l’année 2012 du tout juste trentenaire Sabri Louatah qui vient de se voir décerner, en décembre dernier, le Prix Lire du premier roman français pour ces deux livraisons d’une série qui devrait en comprendre quatre. L’enquête feuilletonesque aux multiples rebondissements traque les commanditaires de l’attentat perpétré contre Idder Chaouch, candidat socialiste à la présidentielle, candidat "issu de la diversité" donc - selon les usages, les précautions de langage et les boursouflures du moment. 

La famille Nerrouche se trouve mêlée à cette affaire à plus d’un titre. Le tireur n’est autre que Krim Nerrouche petit gamin paumé d’une cité stéphanoise manipulé par Nazir, son caïd d’oncle, autrement intelligent et futé pour faire le mal et se faire la malle. Voici donc les Nerrouche, mère et tantes, cousins et cousines, désemparés, plongés dans la stupeur, alternant crises de nerf et abattement, tristesse et inquiétude et subissant l’opprobe. C’est Fouad, le propre frère et l’antithèse de Nazir, qui prend en charge tout ce beau monde, console, soutien et déniche un avocat grâce à ses réseaux. Fouad, vedette de téléfilm, aussi à l’aise dans un rade de Belleville que dans une salle de musique classique, est le petit ami de Jasmine, la propre fille d’Idder Chaouch ; ce qui en fait un suspect aux yeux des enquêteurs.

Qu’allaient donc faire les Nerrouche dans cette galère ? C’est une des questions qui traverse le livre et qui agite les services de la police et ceux de la justice dont l’enquête est confiée au juge Wagner, avant qu’un coup de théâtre - sa propre fille a passé l’après-midi du drame avec Krim, celui qui a tiré sur Chaouch ! - l’oblige à se dessaisir de l’affaire au profit du juge Rotrou, aux méthodes plus expéditives. Sabri Louatah, avec un talent de scénariste chevronné, emberlificote les pistes, multiplie les personnages et les situations, sans jamais donner le tournis. En revanche, il met le lecteur sur le gril, l’obligeant à s’accrocher à son livre tel un naufragé à son radeau de fortune.

Il faut dire que Les Sauvages décortique les relations incestueuses et souvent nauséeuses qu’entretiennent les mondes politique, judiciaire, policier et médiatique français. Et de ce côté, ce ne sont ni les coups tordus ni les alliances contre nature qui manquent. Les personnages sont nombreux, certains, à l’image de Montesquiou, directeur de cabinet du ministère de l’Intérieur ou le major Coûteaux, en charge de la protection de Jasmine Chaouch, sont bien troubles. Côté presse, Louatah fait le grand écart entre l’honneur de la profession, incarné par une journaliste tout terrain adepte des investigations en solitaire et l’arrière-cuisine d’une presse pyromane. Dans cette convulsion des possibles, un autre rebondissement se dessine, à peine esquissé dans le premier tome, tout juste amorcé ici, les liens entre la tentative d’assassinat et une piste algérienne.

C’est donc avec 52,9% des suffrages que le peuple de France, du moins les femmes, les jeunes et les classes populaires (il y a aussi un début de sociologie électorale), aurait élu pour président Idder Chaouch, un Français d’origine algérienne. Le pays serait-il prêt ? S’agit-il de science fiction ou d’une réaliste prospective ? En tout cas le message est clair, c’est ensemble que sera bâtie la France de demain. Pour l’heure, tandis que la symbolique victime est entre la vie et la mort, la France des bas fonds, celle des quartiers et des banlieues s’enflamme et manifeste. Les violences et les alertes à la bombe se multiplient le tout alimenté par quelques rumeurs et d’étranges manipulations orchestrées par un mouvement inconnu, le SRAF ("colère" en kabyle). Les premières victimes tombent. La police est en passe d’être débordée. La crise politique est profonde, les menaces de déstabilisation sérieuses. Le scénario catastrophe est en place. Vite ! La suite.

Mustapha Harzoune 

Sabri Louatah, Les Sauvages, Flammarion, 2012, 479 pages, 21€.