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Histoires du carnet anthropométrique

Raphaël Pillosio revient dans ce très beau documentaire sur les carnets anthropométriques d’identité institués en 1912, devenus carnets de circulation en 1969, et imposés aux populations dites "nomades" puis "gens du voyage". Il montre les implications de ce statut particulier et les effets qu’il eût et a encore sur cette population et sur sa précarisation/marginalisation.

L’anthropométrie est une technique d’identification des personnes mise au point à la fin du 19è siècle pour les institutions policières puis judiciaires et pénitentiaires. Elle s’appuie sur une série de mesures du corps humains, sur le relevé de marques physiques particulières et visait à l’identification des criminels. Elle va ensuite servir à l’identification et à la catégorisation de groupes d’individus qui vont être ainsi stigmatisés comme dangereux. Cela va être le cas des populations dites "nomades".
En travaillant sur un précédent documentaire, Raphaël Pillosio découvre l’existence de ces carnets anthropométriques d’identité imposés aux populations "nomades" et comportant des renseignements très précis sur les individus : nom, photo de face et de profil, empreintes digitales, mesure du corps, de la tête et de l’iris, état civil, généalogie, profession, etc. Naît alors un double sentiment chez Pillosio, d’un côté la volonté de restituer les photos aux familles, de l’autre la volonté de témoigner de l’existence de ces carnets et de refléchir à l’incidence qu’ils ont eu sur la vie des "nomades".
Car, au-delà de ces informations servant à l’identification des personnes, ces carnets comprenaient également les visas des autorités à l’arrivée des "nomades" dans une commune et à leur départ. Or les arrêtés municipaux interdisaient un stationnement de plus de 48h ce qui fait que de 1912 à 1969 les "nomades" devaient faire viser leurs carnets par l’administration toutes les 48h ! Une vie entière à se présenter tous les deux jours aux guichets de la mairie ou de la gendarmerie… En 1969, le carnet anthropométrique d’identité devient carnet de circulation : les carnets ne sont désormais visé que tous les trois mois. Si la contrainte est allégée elle n’en reste pas moins encore terriblement présente. Aujourd’hui encore toujours pas de carte nationale d’identité pour ceux qui sont désormais appelés "gens du voyage" et qui sont pourtant français depuis le 16è siècles, mais toujours ce carnet de circulation.
Autre aspect particulièrement contraignant des carnets anthropométriques, ils sont collectifs et concernent tous les membres d’une famille qui n’ont pas le droit de s’éloigner les uns des autres : au-delà de la surveillance individuelle des personnes le carnet conditionne la vie du groupe, qu’il isole et condamne à la reproduction, les individus n’ayant pas la possibilité de sortir de ce statut qui les maintien à part du reste de la société.

Raphaël Pillosio construit son film sur deux axes, il restitue à des familles les photos de leurs parents issues de ses recherches dans les archives départementales où sont conservés les carnets anthropométriques. Il filme à la fois leurs réactions (très touchantes) en découvrant ces photos très particulières et leurs conditions de vie actuelle (parfois très dure). Et d’autre part, il interroge deux historiens sur ce que furent ces carnets anthropométriques et sur ce qu’ils induisent comme discrimination et comme rapport à l’Etat.
Il articule d’une façon très réussie les deux niveaux de discours, qui se complètent sans se paraphraser, pour montrer comment une partie de la population est maintenue depuis des années dans un statut à part et comment ce statut ne peut qu’influer sur leur condition de vie encore aujourd’hui.

Anne Volery 

Histoires du carnet anthropométrique de Raphaël Pillosio, France, 2012, 69 mn, co-production lʼatelier documentaire / TV Tours

Contact :
lʼatelier documentaire
101 rue Porte-Dijeaux
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