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Guido

Guido est le prénom du grand-père de l’auteur. Immigré italien, antifasciste et communiste, résistant, arrêté par la police française, emprisonné, interné, il fut déporté en août 1944 dans le "Train fantôme", l’un des derniers convois à partir pour Dachau. Une histoire incroyable pour certains ; méconnue de beaucoup. 

Une histoire que raconte ici en détail Guy Scarpetta et qui en fait un récit des temps présents car, "dans toute cette histoire, on l’aura compris, la vie de Guido n’est que le fil conducteur de quelque chose qui va bien au-delà de lui". Guy Scarpetta, à juste titre et à contre-courant d’une certaine doxa, "n’aime pas beaucoup l’expression frelatée de "devoir de mémoire", qui me semble, au fond, à peine moins rébarbative que celle de "devoir conjugal "". "La mémoire vivante, écrit-il, c’est tout autre chose. C’est ce qui passe par une transmission ouverte, éveillée, là où l’on ne s’inscrit pas dans une tradition pour s’y enfermer, mais pour sans cesse la relancer, la raviver, la réinventer, la faire respirer".

Guido, l’immigré italien

Avec Guido, qui a fait de La Divine comédie de son compatriote Dante le livre de sa vie, défile une partie de l’histoire de l’immigration en France, de l’immigration dans la Résistance, le récit hallucinant aussi du périple, dans une France qui se libère, de ce train qui transporte Guido et ses quelques 700 compagnons de la Résistance. Des métèques pour beaucoup ! "Parmi les tout premiers résistants, parmi ceux qui ont sauvé l’honneur du pays asservi au milieu de la lâcheté générale, il n’y avait pas que des gaullistes, mais aussi ces groupe composés de Juifs de Pologne ou d’Europe centrale, d’antifascistes italiens, de républicains espagnoles, d’Arméniens réfugiés, rescapés du génocide (comme le fut Manouchian, le héros sacrifié de l’Affiche rouge). Des immigrés. Et que ceux-là au fond étaient la France, alors même que la plupart des Français de souche se soumettaient à l’occupant. J’ai su cela, très tôt. Et c’est sans doute de cela que je tiens cette méfiance radicale envers ceux dont la conception du monde se ramène au culte des racines. "La terre ne ment pas", en ces années-là, c’était un slogan de Vichy. La liberté, elle, n’avait pas de patrie"

De Guido à Guy

Guido, c’est Guy en français. Ce prénom, l’auteur l’a reçu comme un héritage, une transmission. Dans le train qui roulait vers l’Allemagne, Guido avait réussi à griffonner sur un bout de papier, quelques mots pour sa femme. Il écrivait notamment : "Si j’en reviens, j’aurai mon mot à dire". Il n’en est pas revenu. Des décennies plus tard, Guy Scarpetta, son petit fils, écrit : "Lorsque je suis né, on m’a attribué son prénom. On comprendra peut-être le poids sur moi de cette transmission. Ce "mot à dire", en somme, j’ai fini par penser, très longtemps après, qu’il me revenait de le proférer". Et avec quel talent. Quelle force ! Si un mot devait restituer l’impression ressentie plus d’une fois à la lecture de ce texte, ce serait peut-être celui de sincérité. De bout en bout et quels que soient les registres – nombreux ici –, Guy Scarpetta est tout d’une pièce. Sensible, fin, intransigeant, implacable, précis, limpide. Le texte passe du récit témoignage à une fiction "raisonnée", de la geste familiale au devenir national, de l’étude historique à quelques confessions ou intimités avec le lecteur, de l'"Épopée" de la Résistance à la "Tragédie" de ce convoi de prisonniers qui, à l’heure où les troupes alliées et les résistants libèrent le pays, roule vers la mort.
Guy Scarpetta décrit tout : l’intérieur des wagons, l’arrivée à Dachau, les conditions inhumaines, les indignités et les violences infligées. Une description précise. Chirurgicale. Sans larmes et pourtant bouleversante.
Au delà de cette restitution, "(…) une transmission s’est bien opérée – dont je n’ai saisi la portée que tardivement. Et qui ne se limite pas au domaine politique – du moins, pas au sens étroit. Qui affecterait, plutôt, le regard que je peux poser sur la politique. Bien sûr, il y a cette intolérance radicale, définitive, envers le fascisme. Envers toute forme de fascisme. Et même envers ce fascisme latent, tel qu’il continue, autour de nous, à se répandre – car il y aussi, je crois, du fascisme inconscient, diffus, même chez ceux, parfois, qui s’en croient les plus éloignés. Mais l’aptitude à le déceler, que j’ai très tôt développée, excède de beaucoup, me semble-t-il, le registre des opinions, des convictions. Quelque chose qui vient de très loin, dans le temps, et d’au-delà des frontières"

Guido où l’esprit de la Résistance

Guido, c’est peut être aussi et enfin celui qui conduit ou qui guide. Ici, la fidélité porte moins sur un "devoir de mémoire" dévoyé que sur cet esprit de la Résistance reçu en héritage. "Guido n’est certainement pas mort pour nous plonger dans l’angoisse et la paralysie d’un deuil infini : mais qu’au contraire que triomphent, face aux forces de la mort programmée, de la barbarie, celles de la vie, de la joie, de la création, de la liberté épanouie. Tous ceux qui l’entouraient s’étaient aussi battus pour ce qu’ils nommaient "un monde meilleur" - pas pour qu’on les pleurent… Des authentiques résistants de cette époque qu’il m’a été donné de fréquenter, je n’en connais guère, du reste, pour avoir méprisé le plaisir, le bon vin, le rire..."
En 2012, prononçant un discours devant la mémorial de la gare de Sorgues sur "l’esprit de la Résistance" , Guy Scarpetta dit : "Chers amis, je me plais à penser que c’est peut-être cet esprit de la Résistance qui nous rassemble, au-delà de nos différences. (…) Cet esprit qui est sans doute plus que jamais d’actualité, dans un monde où un inquiétant renouveau du fascisme se manifeste en Europe, de la Flandre à la Hongrie, et dont nous aurions tort de nous croire épargnés Dans un monde où les injustices s’accroissent, et où les solidarités s’affaiblissent, ce qui n’est jamais bon signe. Et où le combat contre l’injustice est sans cesse à reprendre, à étendre, à raviver. Et c’est à nous, parmi d’autres, qu’il revient de faire en sorte que cet esprit de la Résistance ne disparaisse pas, en pensant à ceux qui, dans la pire détresse physique, et sous les coups de crosse, chantaient la Marseillaise dans les rues désertes de Châteauneuf-du-Pape".
Guido est un livre qu’on ne quitte pas une fois ouvert et que l’on ferait bien de garder près de soi. Tout près de soi. "Le chant bien chanté est graine semée qui sauve de l’oubli" dit le poète Gabriel Mwènè Okoundji (Chants de la graine semée, Fédérop 2014).

Mustapha Harzoune