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Ma mère et moi et Je n’ai pas eu le temps de bavarder avec toi

Voici deux courts textes où l’auteur évoque ses relations, avec sa mère pour le premier, avec son père pour le second. Un troisième est annoncé pour dire le lien avec la fratrie. Brahim Metiba plonge le lecteur au cœur d’un monde tourmenté par les bruits que provoque le silence qui s’est installé entre un fils et ses parents, un univers familial sans dialogues marqué par les bifurcations, moins générationnelles qu’existentielles, imprimées par un fils installé à Paris depuis quatorze ans, qui a fui l’Algérie et son "système étouffant" et qui ne cache plus son homosexualité. Brahim Metiba tente de rétablir le lien. Entre lui et les siens d’abord. Au-delà ensuite.

"Je ne trouve pas de mots, pour parler à ma mère. Les mots de son langage n’expriment pas ma vie. Les mots de mon langage n’entrent pas dans son système". Alors, durant les quelques vingt-trois jours d’un séjour en Algérie, il décide, pour réduire l’éloignement, de lui lire Le Livre de ma mère d’Albert Cohen. Une lecture pour une mère "assise, les jambes droites et le dos droit", des mots pour fissurer ce mur du silence et d’incompréhensions où viennent s’écraser les appartenances qui diffèrent, les "nous" et les "je" qui ne se ressemblent plus, les démonstrations (ou leur absence) d’affection entre mère et fils, la question lancinante du mariage et des convenances, les rapports entre Juifs et Arabes... Des mots pour ouvrir une brèche, apprendre une nouvelle façon d’être quand l’autre s’enferme dans l’univers clôt de ses certitudes. Avec pudeur et émotion, Brahim Metiba dit les évitements de la mère quand son fils demande à "se retrouver" à "être ensemble", à "discuter".
Derrière ces tentatives pour renouer les fils cassés, Brahim Metiba évoque, plus profondément encore, de manière universelle, la disponibilité de chacun à "changer de regard", la capacité à refuser une glaciation mentale où les "nous", les "eux" et le "vrai" se retrouvent emprisonnés, figés à jamais, dans une glace d’immuabilité qui finit par rendre sourd et aveugle au monde et à sa marche, au mouvement, à la relativité des êtres et des choses. Désormais, la mère ne peut que constater que son fils "a changé". "Je suis vieille, je ne peux pas changer d’avis, mais celui qui parle est mon fils et sera toujours mon fils". Au moins, ici, il reste l’amour.

Dans le deuxième volet de ce qui est appelé à être un triptyque, c’est le père qui est venu à Paris rendre visite à son rejeton. Là encore, le silence plombe : "mon père à sa propre logique du monde. Logique dont je suis exclu", au point que, avant de s’en retourner en Algérie, le père laisse à son fils ce mot énigmatique : "Je n’ai pas eu le temps de bavarder avec toi, je te laisse ce ticket de métro. Ton père". Et débrouille toi avec ça…
Muni de ce ticket, le fils décide, le jour de ses 37 ans, de partir au hasard des lignes de bus et de faire de ce parcours, "un parcours de bavardage" ; avec son père bien sûr. Le récit, moins riche, moins dense, moins émouvant que le précédent, s’écoule en une heure et demi, la durée de validité dudit ticket qui, de bus en bus, conduira le narrateur de Clichy-la-Garenne à la station Saint-Michel. Le parcours devient le prétexte à quelques évocations, souvenirs d’enfance et anamnèse algérienne, à quelques descriptions aussi qui voient l’espace et les populations se transformer au fur et à mesure que l’on quitte la banlieue pour le centre de Paris.
Brahim Metiba se sert du Livre de ma mère ou d’un ticket de métro, pour renouer les fils. Il en fait même une vocation : celle de "réduire le fossé entre mon père et moi, entre ma mère et moi, entre mon père et ma mère, entre l’Algérie et la France, entre Paris et sa banlieue". Rien moins. L’auteur en tout cas s’est fixé cet objectif. Par l’écriture. A suivre donc.

Mustapha Harzoune

Brahim Metiba, Ma mère et moi, Mauconduit 2015, 59 pages, 7,50€
Brahim Metiba, Je n’ai pas eu le temps de bavarder avec toi, Mauconduit 2015, 55 pages, 7,50€.