Chouf

Sofiane, étudiant en école de commerce à Lyon, rentre chez ses parents pour les vacances, dans une cité des Quartiers Nord de Marseille.

Fêté comme un héros chez lui et raillé par ses copains dealers comme un "payot" – à la fois un Blanc et un plouc –, Sofiane retrouve aussi la faille silencieuse qui divise sa famille et son quartier : son frère aîné Slimane, monté en grade dans le trafic de cannabis, finance plus ou moins ouvertement la vie quotidienne, défiant la colère paternelle. Mais après un mystérieux coup de fil, Slimane est abattu au pied de leur immeuble. Incapable de retourner à ses études, Sofiane décide de le venger et pour ce faire, se tourne vers la petite bande qui tient la cité : Reda, le boss massif à la voix douce, qui a fait de la prison, Rachid, son ombrageux bras droit, "Marteau", fidèle copain d’enfance aux incontrôlables accès de violence et "Gâteau", le fantaisiste, qui fait le "chouf", le guetteur, affalé dans un fauteuil de cuir, son perroquet sur l’épaule. Rétif à la violence, mais expert en business plan, Sofiane gagne peu à peu la confiance de Reda, l’aidant à réorganiser le trafic, sans perdre de vue son objectif...

Dernier volet d’une trilogie marseillaise qui court sur plus de vingt ans, après Bye-bye (1995) et Khamsa (2008), Chouf ("regarde" en arabe) emprunte aux codes du thriller pour ouvrir les yeux du spectateur sur une réalité qui lui demeure d’ordinaire inaccessible. Aussi fameux qu’opaques, les "règlements de comptes à Marseille", s’ils font régulièrement la une depuis le début de la décennie, ne semblent appeler d’autre explication médiatique que leurs bilans macabres. Karim Dridi rappelle, avec ce film d’une énergie revigorante, qu’il y a derrière les "malfaiteurs" qui s’entretuent des êtres humains dignes de vivre. Fruit d’une longue enquête, et surtout d’un formidable casting effectué sur place – les principaux acteurs, à l’exception de Soufian Khammes, n’avaient jamais joué auparavant, mais se sont formés durant deux ans dans la perspective du tournage –, Chouf s’apparente, par son humanisme et son authenticité, la série américaine The Wire et sa bouleversante sociologie du trafic de drogue. Et peu importe si, contrairement à cette dernière, le scénario, trop convenu, ne convainc qu’à moitié. La beauté des images, qui souligne combien Marseille et ses cités constituent un somptueux décor de cinéma, le rap rageur et nostalgique de sa BO, porté par la voix envoûtante de Foued Nabba, le Reda du film, la vitalité irrésistible de ses interprètes, l’emportent largement.

Irène Berelowitch