Les travailleurs indochinois en France pendant la Seconde Guerre mondiale
En 1939, reproduisant le précédent de la Première Guerre mondiale au cours de laquelle 90 000 travailleurs et tirailleurs indochinois avaient été déplacés en métropole, le « Plan Mandel », du nom du ministre des Colonies, prévoit l'appoint de 300 000 travailleurs coloniaux, dont 100 000 Indochinois, à l'effort de guerre. En juin 1940, 27 000 Indochinois sont arrivés en France : 7 000 tirailleurs et 20 000 travailleurs. Après la défaite, 5 000 d’entre eux sont rapatriés mais les autres restent bloqués en métropole. A la Libération, la désorganisation de l'après-guerre et les événements qui affectent l'Indochine française, retardent encore le rapatriement de ces travailleurs requis : il ne prendra fin qu'en 1952. Pendant plus de dix ans, ces migrants ont formé une micro-société qui prolonge la société coloniale au sein même de l’espace métropolitain. Au processus d’adaptation au travail industriel, de confrontation au modernisme, s’ajoutent pour ces hommes une expérience inédite : celle d’un face-à-face direct avec la puissance coloniale en proie à la défaite, de la découverte, au-delà de la France coloniale, d’une société complexe, traversée d’antagonismes et de contradictions.
La réquisition
En 1939, à la lumière de l’expérience de la Grande Guerre, le recrutement des travailleurs indochinois s’appuie sur un arsenal législatif mis en place dans l’entre deux-guerres. Les travailleurs coloniaux doivent être recrutés, acheminés, administrés et mis au service des industries de la défense nationale par le Service de la Main-d’Œuvre Indigène, Nord-Africaine et Coloniale, la M.O.I., rattaché au ministère du Travail. L’arrêté du 29 août 1939 fixe l’ouverture du droit de réquisition sur tout le territoire de l’Indochine. 90% des 20 000 travailleurs requis sont alors recrutés de force dans la masse de la paysannerie pauvre, surtout dans les protectorats de l’Annam et du Tonkin ; les autres sont originaires de la colonie cochinchinoise. L’efficacité de la réquisition révèle l’inféodation et le « loyalisme » des autorités indigènes chargées du recrutement aux échelons communal et provincial. Celles-ci ont en effet fixé à chaque famille l’obligation de fournir un fils âgé de plus de vingt ans. L’établissement d’un tel principe rend immense le réservoir de travailleurs susceptibles d’être réquisitionnés, mais il faut résoudre la question de l’encadrement.
De paysans en « ouvriers-soldats »
Jusqu’en juin 1940, les O.N.S. vont essentiellement travailler pour les industries de la défense nationale : 70% des effectifs sont affectés aux poudreries. Ils sont disséminés sur tout le territoire : en juin 1940, on relève leur présence dans 24 départements.
La plus forte concentration se trouve en Gironde avec 2 327 O.N.S. employés, pour la plupart, à la poudrerie de Saint Médard. Le postulat qui préside à l’emploi de ces travailleurs étrangers au monde industriel était celui du rendement collectif : compenser le qualitatif par le quantitatif. De cette première confrontation au monde industriel, les témoignages soulignent surtout la pénibilité liée aux cadences de travail : ils étaient soumis au travail posté et aux 3x8.
De la Libération aux rapatriements
A la Libération, la majorité de ces hommes aspirent cependant à un rapatriement rapide, mais celui-ci tarde du fait de la désorganisation de l’après-guerre et des événements d’Indochine. A la souffrance, succèdent alors l’exaspération et la colère.
En écho au mouvement Viet-Minh dans la colonie, les requis revendiquent leur émancipation et l’égalité des droits avec les travailleurs de la métropole. Ils entrent dans une logique d’affrontement avec la D.T.I (Direction des Travailleurs Indochinois), qui a succédé en 1945 à la M.O.I et relève du ministère des Colonies.
La Libération, c’est aussi la rencontre avec les autres Indochinois de France, tirailleurs et intellectuels : ils se réunissent, à Avignon, en décembre 1944, pour le Congrès des Indochinois et forment la Délégation Générale des Indochinois, qui représente les 25 000 Indochinois de France.
Acquis à la lutte pour l’indépendance du Viet Nam, les O.N.S. agissent dès lors comme le bras du Viet-Minh en métropole : grèves, mouvements de désobéissance, manifestations culminent en 1948, auxquels le ministère des Colonies répond par l’arrestation de quelques centaines de « meneurs », regroupés à Bias (Lot-et-Garonne), puis embarqués manu militari en direction de l’Indochine.
Le retour ou l’installation définitive en France
Les « fils protégés de la France » sont devenus indésirables en métropole, et dangereux de retour dans la colonie. A partir de 1948, les rapatriements s’accélèrent. Certains de ces hommes sont emprisonnés à leur arrivée et rejoignent le Viet-Minh après des mois de captivité. En 1952, les retours sont achevés. Une première enquête en 2005-2006 montre que la plupart des rapatriés ont retrouvé leur condition sociale de départ. Les rares survivants vivent, en 2006, dans le dénuement et attendent aujourd’hui encore un signe de reconnaissance de la France.
En définitive, la France a capté l’élite des travailleurs requis et a refoulé dans la colonie la paysannerie prolétarisée et acquise à l’indépendance du Viet-Nam. Au-delà des destins individuels, les travailleurs indochinois requis en 1939 et qui ont fait souche en France apparaissent collectivement comme le produit d’un tri social opéré en amont et renforcé par la gestion coloniale.
Pour en savoir plus :
- le site internet Vietnamiens en France à l'époque coloniale qui vise au recueil d’archives privées et de témoignages afin de documenter les premières présences de Vietnamiens en France dans une approche socio-historique et d’histoire connectée (accédez au site)
- et le site Internet www.travaileurs-indochinois.org