Politics and immigration

La France ferme t-elle ses frontières ?

L’objectif des politiques de maîtrise des flux migratoires est bien de rendre les frontières plus hermétiques. Elles se traduisent par des politiques de visas et d’asile plus sélectives et restrictives, le renforcement des contrôles et des rétentions, la multiplication des interpellations et des expulsions, l’externalisation des contrôles, etc. L’immigré devient une menace, déclinée sur le mode de l’invasion, du déficit des comptes sociaux, de la délinquance et de la communautarisation.

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Diane Grimonet, Devant la préfecture de Paris, issu de la série Les sans-papier en France, 1998, Paris
Devant la préfecture de Paris, les CRS ont arrêté 80 manifestants venus protester contre l'interpellation de sans-papiers placés en centre de rétention.
Diane Grimonet, Devant la préfecture de Paris, issu de la série Les sans-papier en France, 1998, Paris, Musée national de l'histoire de l’immigration, Inv 2020.16.4 © EPPPD-MNHI, Diane Grimonet

Premiers titres de séjour

Les données statistiques montrent que les délivrances des premiers titres de séjour sont en hausse entre 2016 et 2019, en baisse, sans doute conjoncturelle, en 2020, et reprise en 2021 avec une première estimation de 271 675 premiers titres de séjour délivrés. S’ils restent encore majoritaires, les titres de séjour délivrés au titre du « regroupement familial » sont en baisse (le motif « famille de Français » passe de 49 559 en 2016 à 46 941 en 2019 ainsi que le « regroupement familial de conjoint de français en situation régulière »). Cela traduirait-il un durcissement des conditions de délivrance pour motifs familiaux – sachant tout de même que les titres de séjour pour « membre de famille » ont grimpé de 24 152 en 2016 à  28 709 en 2019 ?

Les titres de séjour délivrés pour motifs économiques sont en hausse (de 22 982 en 2016 à 39 131 en 2019) : cela traduits les besoins de l’économie, aussi bien en bras (voir les emplois dit de « premières lignes » contre le Covid) qu’en matière grise  (Passeport Talent notamment).

Les premiers titres de séjours délivrés pour motif humanitaires passent de 29 862 en 2016 à 37 851 en 2019.

Besoins économiques ou obligation de respecter les droits fondamentaux des personnes, la fermeture des frontières ne semble pas relever directement des politiques de délivrance des titres de séjours. Pour la Cour des comptes « seule la moitié des premiers titres accordés en 2018 procède d’une décision entièrement maîtrisée par les autorités publiques », l’autre moitié (asile, immigration familiale) « étant la contrepartie de droits individuels protégés par la Constitution et l’ordre juridique international, que l’État ne peut ni prévoir, ni restreindre ». Bien qu’ils soient en hausse, la Cours des Comptes (2020) rappelle que « ces chiffres placent la France parmi les grands pays les plus restrictifs en termes de séjour », avec une moyenne de 3,72 titres de séjour pour 100 000 habitants en 2016, bien en deçà de la Suède (14,53 titres), de l’Allemagne (12,18) ou de l’Espagne (7,65), seuls les USA font moins (3,67 titres).

Visas et asile

Quid alors des visas ? De 2016 à 2019 le nombre total de visas accordés est passé de 3 074 601 à 3 534 999 et, pour les seuls long séjour, de 195 014 à 236 246. Rien donc de significatif ici, si ce n’est une hausse du taux de refus passant de 11% en 2016 à 16% en 2019. En revanche, dans le détail, les visas délivrés aux conjoints de Français, les plus nombreux des visas de long séjour pour motif familial jusqu’en 2018, s’inscrivent dans une tendance à la baisse depuis 2016. Les visas accordés au titre de « membre de famille » sont eux en hausse continue. Globalement, les visas long séjour pour motif familial sont en hausse depuis 2016. En revanche, le 28 septembre 2021, le porte-parole du gouvernement confirmait que la France allait réduire de 50% le nombre de visas accordés à l'Algérie et au Maroc et de 30% pour la Tunisie, au motif que ces pays refusent de reprendre leurs ressortissants en situation irrégulière.

Du côté de l’asile, la baisse continue du taux d’accord des demandes déposées auprès des services de l’OFPRA  (de 28,8% à 23, 7% entre 2016 et 2019) traduit la volonté de durcir les conditions d’entrée en France par un accueil de plus en plus sélectif des réfugiés. De plus, en 2019, le gouvernement a annoncé durcir les conditions d'accès à l'aide médicale d'État et installer un délai de trois mois de carence avant d'accéder aux soins de base. Un rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les migrations (novembre 2021) recommandait de supprimer ce délai de carence de trois mois et appelait à « ne pas pénaliser les populations par une réduction drastique de la délivrance des visas », et à « mettre fin à la politique zéro point de fixation » à Calais.

Contrôles et Expulsions

L’autre indicateur du durcissement de la politique d’immigration et notamment du contrôle des frontières concerne les politiques d’expulsion, appelée officiellement « lutte contre l'immigration irrégulière ». Elle vise à empêcher les entrées sur le territoire et à multiplier les contrôles pour faciliter les expulsions. Cette politique s’inscrit dans un contexte marqué par une surenchère des thèses présentant l’immigration sous le signe de la « peur », de « l’invasion », du « grand remplacement » et autres « crise migratoire ». Symptomatiques sont les opérations dites « anti-migrants » menées par le désormais dissous groupuscule d’extrême-droite « Génération identitaire » dans les Alpes  (2018) puis dans les Pyrénées (2021) pour traquer les « profils suspects » et autres « afro-maghrébins ».

Tandis que les refoulements à l’arrivée des personnes aux frontières sont en hausse, les mesures de contrôles se multiplient. Elles peuvent être opérées dans les centres d'hébergement d’urgence - ce qui a conduit Le Défenseur des droits a évoqué un risque de "tri" quand d’autres parlent de « pièges à migrants ». En matière d’expulsions, la France serait en tête en Europe dans la délivrance d’obligations à quitter le territoire (Eurostat). Entre 2016 et 2019 le nombre d’expulsions ou « retours forcés », « volontaires aidés » et « spontanés » est passé de 24 707 à 31 404. Cet arsenal législatif plus restrictif fabrique un nouveau type d’immigrés : le clandestin ou le sans papier. Majoritairement, ce sont des visiteurs dont le visa est arrivé à expiration, des immigrés en situation régulière dont le titre de séjour n’a pas été renouvelé et des déboutés du droit d’asile. Par ailleurs, en 2020, la commissaire européenne aux Affaires intérieures avait estimé devant le Sénat que le taux d'exécution moyen d'une décision d'expulsion est de 30% en Europe. Il tomberait à 13 ou 14% pour la France.

En 2017, les lieux d’où sont expulsées les personnes ont été à 71% les CRA, à 21% « hors les murs » c’est-à-dire suite à des interpellations au domicile (personnel ou lieux d’hébergement collectif), au commissariat ou en préfecture et pour 8% des centres DPAR (source : étude d’impact du PJL immigration 2018). Ouverts depuis 2015, les centres DPAR (dispositif de préparation au retour) visent à conditionner l’hébergement des personnes à leur acceptation des dispositifs d’aide au retour volontaire (ARV). Pour la Cimade, « le caractère « volontaire » du retour glisse cependant très rapidement vers le retour forcé : l’ensemble des personnes dans ces centres est assigné à résidence et est donc sous le contrôle de l’administration ».

Enfin, les assignations à résidence (AAR) sont en hausse, notamment les « expulsions 45 jours renouvelables une fois » (90% des AAR) ainsi que les interdictions de retour du territoire français (IRTF), créées en 2016.

Faut-il être pour l’ouverture des frontières ?

Pour ses promoteurs, la liberté de circulation permettrait d’enrayer les incohérences et les effets nocifs des politiques de fermeture des frontières : sédentarisation des migrants ; multiplication des clandestins ; recrudescence de réseaux mafieux ; obstacle à de réels accords de développement… En 2010, la Commission pour la libération de la croissance française dite « Commission Attali », dont Emmanuel Macron était le rapporteur général adjoint, prônait l’ouverture des frontières qui permettrait : « de lutter contre le travail non déclaré, d’où une plus grande conformité aux normes de travail légales, une meilleure cohésion sociale et une augmentation des recettes des États provenant des impôts et des cotisations de sécurité sociale ». Le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les migrations (novembre 2021) appelait de son côté à sortir la politique migratoire du seul cadre du ministère de l’Intérieur pour « dépasser la seule gestion policière de l’immigration ».

Mustapha Harzoune, 2022